En Nos Vertes Années
partout par la garnison anglaise,
qui avait elle-même des canons. Monsieur de Guise fut sage de rejoindre le gros
de son armée sur la terre ferme pour pouvoir, en cas de nécessité, retirer sa
mise de la citadelle ou, le cas échéant, la doubler.
À quoi Anne ne répondit pas
autrement que par une de ses charmantes petites moues qui avaient tant d’empire
sur son père et qui, plus tard, en eurent davantage sur Henri III, et lui
valurent tant de faveurs royales : l’une, au moins, lui fut fatale, car
s’il eût mieux écouté en ses enfances les leçons de prudence que lui prodiguait
M. de Joyeuse, il n’eût pas trouvé la mort à vingt-six ans à la tête de l’armée
qu’Henri III lui avait confiée et qu’il commandait avec tant de vaillance
et de folle impétuosité.
— Ha ! dit Anne quand
j’eus fini, que n’ai-je à moi ces petits soldats ! Je les exercerais tous
les jours !
— Mais Monsieur, dis-je, ils
sont à vous, et les canons et les remparts. Je les ai apportés céans pour vous
les bailler !
— Monsieur mon père, s’écria le
petit Anne, son œil bleu émerveillé, avez-vous ouï cela ?
Et sans attendre de réponse, prenant
avantage de ce que j’étais à genoux pour relever un soldat que sa baguette
avait fait choir, Anne se jeta à mon col et me fit tant de baisers qu’ils me
laissèrent tout atendrézi et presque la larme au bord de l’œil.
Quand je me relevais, M. de Joyeuse
me fit mille civilités et en termes voilés et assez vagues, quelques promesses
aussi de me compenser tous les frais où j’avais été pour constituer ma petite
armée. Là-dessus, il voulut bien me saluer et M me de Joyeuse me
donna à baiser le bout de ses doigts, et tous se retirant, je restai seul avec
Cossolat qui, me prenant par l’épaule, me glissa à l’oreille :
— Ventre Saint-Antoine, Siorac,
vous avez ce jour fort avancé vos fortunes auprès de M. de Joyeuse, mais si
j’étais vous, je ne ferais pas trop fond sur la compensation dont il a parlé,
l’homme étant fort ménager de ses pécunes, tant de son naturel que par
nécessité.
À quoi je fis bon visage quoique
j’en eusse, la déception m’étant amère, ayant tablé sur la générosité de M. de
Joyeuse pour me renflouer des argents que j’avais tirés à grand’peine de Samson
afin de payer les cartons, les peintures, les bois et le sculpteur. Ha, voilà
bien les Grands ! pensai-je, tout leur est dû ! Demain Joyeuse aura
oublié sa promesse et j’aurais dépensé vingt-cinq écus pour rien.
— Ha bah ! Capitaine,
dis-je, n’en parlons plus, cela n’est rien !
— Mais, dit Cossolat, changeant
de ton et l’œil tout soudain fort vif, je vois venir à vous en son cotillon
gonflé comme voilier sous brise une des dames d’atour. Voici peut-être, à bien
s’y prendre, une autre sorte de compensation…
— Monsieur de Siorac, dit la
belle en s’approchant de moi, mais sans même paraître voir Cossolat, et en me
baillant une petite révérence fort justement mesurée à l’aune de mon
importance, M me de Joyeuse vous fait l’honneur de désirer votre
présence en ses appartements.
— Madame, dis-je en la saluant,
je suis tout dévoué aux ordres de M me de Joyeuse. Et je la suivis
dans un dédale de pièces splendides, l’œil sur son dos, ce qui ne laissa pas de
m’enchanter, car c’était une grande mignote brune fort bien tournée dans toutes
ses parties et qui marchait avec une grâce extrême.
— Monsieur, dit-elle en se
retournant au bout d’un moment d’un air mi-hautain mi-rieur, marchez, je vous
prie, à mes côtés. Je n’aime pas être dévorée, surtout de dos.
— Mais de côté, dis-je en lui
obéissant, ne vais-je pas être tout aussi dévorant ?
— Non point, dit-elle, je vous
tiendrai à l’œil.
— Madame, dis-je, puisque j’ai
l’honneur d’être escorté par vous, ne peux-je au moins savoir votre nom,
puisque, aussi bien, vous connaissez le mien ?
— Monsieur, dit-elle l’air fier
mais la lèvre tirée d’un demi-sourire, je suis Aglaé de Mérol. Mon père est
l’homme le plus riche du Languedoc, je suis fille, et mon dessein n’est pas
d’épouser un cadet du Périgord, sans un seul sol vaillant, eût-il l’œil aussi
friand que vous.
— Ha Madame ! dis-je en
riant, qui de nous deux a le premier parlé mariage ? Vous ou moi ?
Pour moi, le plaisir de la vue suffit. Je ne vois pas plus loin.
À cela, prise sans vert et le
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