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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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coup me déplut et les
écailles me tombant des yeux, je déliai enfin ses mains et les tenant au bout
de mes bras, je dis :
    — Madame, vous vouliez me parler,
je crois.
    — Oh pour cela ! dit-elle
sur un tout autre ton, rapide et expéditif, c’est fort simple. J’ai dit à
Caudebec que je logeais ici chez ma cousine et je pense qu’il serait bon, et
pour éviter les allées et venues et pour notre protection à toutes, que vous
demandiez à Maître Sanche permission pour Samson de demeurer la nuit céans tant
que durera mon séjour.
    — Ha Madame ! la chose est
moins simple que vous la cuidez. Maître Sanche est un homme austère qui souffre
mal certain péché que vous savez, même commis dans la houle de jeunesse. Au
surplus, Monsieur mon père lui a confié la garde de Samson, et je ne sais s’il
s’en défera, même pour si peu de jours, au bénéfice d’une dame inconnue.
    — Mais mon frère, dit-elle,
dégageant ses mains des miennes mais pour me les passer incontinent autour du
col, considérez, je vous prie, le péril où je suis en cette maison ! Les
hasards auxquels s’expose mon bien-aimé Samson en ses courses dans la nuit, le
danger qu’enfin vous-même vous courez, ajouta-t-elle en approchant sa face de
la mienne et en m’envisageant, la tête de côté, ses belles lèvres roses
entrouvertes, et son œil bleu tout atendrézi.
    Ventre Saint-Antoine !
pensai-je en mon for, que voilà une fière veuve, tout dévote qu’elle
soit ! Et qui vous mène les hommes où elle veut par tous les bouts où elle
peut les prendre ! Il est heureux qu’elle reparte sous peu pour sa
Normandie. Un jour ou l’autre, elle eût fait pâtir mon Samson.
    — Madame, dis-je en lui
défaisant les mains de mon col, sous le prétexte de les baiser avec respect
(encore que même ces baisers-là me donnaient un peu trop d’agrément). Je suis
votre féal, et je ferai de mon mieux pour vous obéir, mais je ne puis vous
donner l’assurance que Maître Sanche agréera ma supplique.
    — Devrais-je alors, dit Dame
Gertrude en ployant le col et me considérant l’œil mi-clos, demander à Monsieur
Cossolat de monter la garde céans afin que de me protéger ?
    Ha, diablesse ! pensai-je, tu
n’as pas été sans voir, encore que tu eusses les yeux baissés, que les regards
de Cossolat me donnaient de l’humeur.
    — Madame, dis-je avec assez de
froideur, si j’étais vous, et Maître Sanche refusant, c’est le parti où je
m’arrêterais.
    Et lui baisant les mains derechef,
j’appelai Miroul et m’en allai, fort dépit et au surplus fort méfiant de cette
belle Circé, ne sachant du tout ce qu’elle voulait faire de tous ces hommes
auxquels elle tâchait de passer un licol et doutant fort qu’elle le sût
elle-même. Ha ! me dis-je, la vois-je enfin sous son jour véritable ?
N’était-elle innocente en rien ? Pas même en son affection pour moi ?
La coquette s’est-elle jusque-là si bien cachée sous la prude ? Ou est-ce
Rome et les Romains qui nous la renvoient comme elle est, si avide et friande,
non plus d’un seul, mais de tous.
    Je la quittai, assez mal à l’aise
dans le pensement que mon bien-aimé Samson était peut-être par ma faute tombé
dans des mains moins douces que je n’avais cru. De retour à l’apothicairerie,
je mis beaucoup de feu à persuader Maître Sanche du danger qui nous guettait en
effet en nos courses nocturnes, et je fis si bien qu’il m’accorda que Samson
logeât avec ses armes à l’Aiguillerie. Ainsi, pensai-je. Dame Gertrude n’aurait
point à rencontrer quotidiennement Cossolat et quant à moi, je n’aurais plus
d’occasions de la voir, ce qui assurément valait mieux, car selon mes humeurs,
ou je l’aimais trop, ou pas assez.
    Cossolat n’eut garde d’oublier la
mission dont il s’était chargé et le jeudi suivant, vers trois heures de
l’après-midi, M. de Joyeuse m’envoya son carrosse (qui fit grand bruit dans la
rue de la Barrelerie) pour apporter en sa maison mes soldats de bois, les
remparts de Calais, la citadelle, le bras de mer qui l’entourait — celui-ci
peint en bleu sur carton et assurément moins glacé que ne l’éte, ses frères,
Senarpon, mon père et tant d’autres y pénétrèrent jusqu’au cou pour se lancer à
l’assaut.
    Je pensais faire mon récit en la
grande salle de l’hôtel devant le seul Anne de Joyeuse, mais à mon prodigieux
étonnement, table et tapis avaient été retirés, et tout autour de ce

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