En Nos Vertes Années
morte, il y a un mois, alors que j’arrivais à peine à
Rome. Ha Monsieur ! J’en suis tout courroux. Quel vilain tour elle m’a
joué ! N’eût-elle pas dû attendre au moins que je formule mon vœu en la
basilique de Saint-Pierre avant que de si hâtivement décéder ?
— Monsieur, dis-je,
pardonnez-lui. Aucun vif ne choisit le moment de sa mort. Tenez, dis-je en
baissant la voix, ce matin même, j’ai vu en l’hôpital de Montpellier un jeune
drole fort beau et vigoureux étendu raide sur la paillasse, un bubon à l’aine,
et un charbon au pied.
— Quoi ? dit Caudebec,
recrachant son vin. Un bubon ! Un charbon ! C’était donc un
pesteux !
— Eh oui, dis-je, la mine fort
innocente, nous en avons quelques-uns à Montpellier, mais il n’empêche, la
ville est saine.
— Saine, Monsieur !
Saine ! Moines ! dit-il en se levant, rassemblez notre monde !
Nous partons incontinent ! Sanguienne ! Je ne resterai pas un instant
de plus dans cette ville pestiférée.
— Monsieur ! dis-je,
puisque vous partez, quittons-nous bons amis, et serrons-nous la main.
Et m’avançant, je lui tendis la
dextre. À quoi, faisant un bond en arrière qui renversa son escabelle, Caudebec
hurla :
— Ha ! Monsieur !
cria-t-il, ne me touchez pas ! Peut-être êtes-vous déjà infect !
— Nenni, dis-je, je n’ai que
très peu palpé le mort. Allons, Baron, touchons là !
Et avançant toujours vers lui, la
dextre tendue, et lui reculant toujours devant ma main en sa terreur, je le fis
courir tout autour de la table, comme il m’avait contraint de faire, la dague
au poing, deux mois plus tôt. Mais le tour accompli, et se trouvant fort près
de l’escalier, Caudebec y courut, le monta quatre à quatre, et je l’entendis
qui s’enfermait à double tour en sa chambre.
Là-dessus, saluant les Roumieux,
transis et cois devant leurs viandes, je m’en fus me rasseoir à ma table, le
visage tranquille.
— Ha, Monsieur de Siorac !
me dit l’alberguière à voix basse, quelle friponnerie est-ce là ! Vous me
ruinez ! Tous ces beaux écus normands qui s’en sauvent !
— Mamie, lui dis-je, baissant
la tête et contrefaisant le contrit, je vous demande mille fois pardon :
ma langue m’a emporté. J’ai clabaudé à tort et à travers.
— Oh, pour cela, je ne
cuide ! dit l’alberguière en m’envisageant œil à œil. Vous n’agissez pas
sans raison, Monsieur de Siorac, je vous connais, et la raison pour laquelle
vous m’avez fait déguerpir ma pratique, je la saurai.
Et elle la sut, en effet, par Cossolat
qui, loin de m’en vouloir, quand il apprit le soudain département des Roumieux,
en rit avec moi à ventre déboutonné.
— Ha Pierre ! me dit-il,
il y a deux faces à cette petite chatonie : que vouliez-vous au
juste ? M’empêcher de bailler des cornes à votre frère ? Ou vous-même
vous en empêcher ?
À quoi je ne sus rien répondre,
étant là-dessus moi-même dans le doute : tant il est difficile parfois de
démêler clairement ce qu’on sent, et plus encore ce qu’on désire.
*
* *
Quand cette affaire fut finie, qui
m’avait beaucoup remué, j’allai trouver Maître Sanche, et après m’être
civilement excusé du trouble que j’avais introduit dans le ménage de sa maison,
je le suppliai de me dire dans quel village de nos provinces s’était retirée
Fontanette, car je lui devais, à coup sûr, aide et compensation.
— Hélas, mon Pierre, je ne
sais, dit Maître Sanche avec un soupir. Dame Rachel l’a su, et ne parvient
plus, à ce qu’elle dit, à s’en ramentevoir. Et que peux-je faire sinon la
croire ? Ha, mon Pierre, la volonté d’une femme ! C’est un aposthume
qu’aucun barbier n’a jamais pu crever !
Là-dessus, il me pressa d’une voix
fort émue de revenir prendre mes repas au logis, mon absence attristant la
tablée.
— Hormis, dis-je, Dame Rachel
qui vous a demandé de me bouter dehors.
— Je suis maître en mon logis,
dit Maître Sanche en redressant la crête. Et je sais qui je reçois. Certes, nos
morales lois en demeures de bourg sont plus strictes que celles des châteaux où
il est de nulle conséquence qu’un cadet ait des faiblesses pour une chambrière.
Mais puisque vous avez été élevé en cette tolérance, je ne vois pas de raison
de vous appliquer notre étroite sévérité.
— Par malheur, dis-je, la
pauvre Fontanette a payé pour les deux.
— Hélas, mon Pierre, dit Maître
Sanche,
Weitere Kostenlose Bücher