En Nos Vertes Années
tempête, eut succédé
la bonace, elle me dit, les membres épars et soufflant quelque peu :
— Ha mon petit cousin, si
j’osais parler ainsi sans blasphémer – ce que je ne veux, car je crains le
Seigneur et me confesse, et suis fort assidue aux offices –, je dirais que
c’est divin que cela, et que je vais y penser beaucoup avant que de vous revoir
sain et entier, le mercredi de la semaine qui vient, dans l’attente que vous me
baillerez, outre ces délices, l’autre plaisir que vous savez.
Elle ajouta à cela tant de
mignonneries, tant de baisers, et de si grands compliments sur la façon dont je
m’étais déporté (non sans glisser toutefois dans ses louanges quelques conseils
pour mieux faire encore à l’avenir) que sans l’avoir pu posséder, je me sentis
à nouveau son amant : ce qui me rasséréna quelque peu et me fit le pied
plus léger et plus bondissant tandis que je retournais à l’apothicairerie. Là,
ayant avalé sans piper mot mon brouet spartiate, je courus à ma chambre me
jeter sur mon lit. Hélas ! Je ne dormis pas davantage, combien que je
fusse moins travaillé de mon tourment.
Dans la soirée du jour suivant, un
valet portant la livrée de M. de Joyeuse m’apporta de ma Dame une lettre et un
petit paquet. Voici la lettre :
Mon petit cousin,
Dans ce paquet est un sachet de
plantes curatives que Michel de Montaigne a remis à M. de Joyeuse en un
embarras fort semblable à celui où vous êtes. Portez-le sans désemparer, nuit
et jour, autour de votre col, à côté de cette médaille de la Vierge que vous
bailla Madame votre mère à sa mort, et que pourtant vous n’adorez point,
méchant huguenot que vous êtes. Le sachet fera merveille. Vous le verrez
mercredi – jour que j’attends entre tous ceux de la semaine, puisque je
vous reçois chez moi.
Mon petit cousin et martyr, je vous
abandonne le bout de mes doigts.
Eléonore de Joyeuse.
Ha ! pensai-je, le bout de ses
doigts ! C’est façon de parler ! Et quelle élégance ont les Grands
pour tout dire – et tout faire – en se cachant derrière les
mots ! Néanmoins, je fus fort ému qu’elle eût pensé à moi au point de me
dépêcher son valet – elle qui tout le jour était fort occupée à ne rien
faire. Et courant à ma chambre, j’ouvris le paquet et me passant le sachet
autour du col, le portais ainsi sans discontinuer, même la nuit, ayant grande
fiance en un remède recommandé par Michel de Montaigne que je n’avais à ce jour
jamais vu, mais dont je savais que notre défunt ami, Étienne de la Boétie,
avait prisé fort haut la sagesse.
Cependant, relisant la lettre de M me de Joyeuse, je découvris dans un coin un post-scriptum que je n’y avais pas vu
d’abord :
Cossolat vous verra demain sur le
midi aux Trois-Rois.
Ha, Cornebœuf ! pensai-je, lui
aurait-elle tout dit ? Car je soupçonnais depuis longtemps des liaisons
serrées et continues entre M me de Joyeuse et Cossolat, non certes
pour ce que vous savez, la Dame se jugeant trop haute pour un officier de son
mari, mais pour quelques intrigues qu’elle nouait ou dénouait dans le Languedoc
pour servir M. de Joyeuse. Ce qui me ramentevoit que je viens de médire d’elle
plus qu’un petit en disant qu’elle n’était occupée à rien.
À midi, l’alberguière des Trois-Rois, toujours rechignée à mon endroit, me fit revêche face, quelque souris que je
lui adressasse, et me poussant à l’épaule roidement, me mena à un petit cabinet
où Cossolat, noir de peau, d’œil et de sourcil, était assis, la mine sévère,
devant un rôt et un flacon.
— Monsieur, dis-je, mi-sérieux
mi me gaussant, m’avez-vous mandé céans pour me serrer en geôle ?
— Pas encore, Monsieur de
Siorac, dit-il avec une extrême froideur, encore que vous le méritiez.
Il sait donc tout, pensai-je, et mes
jambes tremblant quelque peu sous moi, je m’assis. Cossolat, mangeant et buvant
sans du tout m’envisager, fut un long temps sans ouvrir le bec, sauf pour
gloutir, ce qui ne laissa pas de me déplaire, n’étant pas accoutumé à être
traité si mal, surtout par Cossolat, si respectueux de la noblesse.
— Monsieur, dit-il enfin, vous
reste-t-il encore quelque chose de cette manne de deux cents écus que M me de Joyeuse vous bailla ?
— Certes, dis-je, étonné de
cette peu discrète question. Je n’en ai dépensé qu’un quart.
— Alors, commandez à
l’alberguière un rôt et un flacon et
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