En Nos Vertes Années
premier mouvement, après le maléfice, ne fut pas de consulter un
ministre de mon culte, quoique non pas en confession. Ha, certes j’y
songeai ! Et si je ne le fis pas, c’est qu’ils étaient gens austères,
incommodes, prompts à soupçonner que la victime d’un sortilège n’était point
elle-même en quelque guise tout à fait innocente. En quoi, ils erraient peu. En
outre, j’avais pour mes pasteurs trop de respect pour les tromper, ou tronquer
mon dire, comme j’eusse fait sans scrupule aucun avec un confesseur papiste
avide de son denier. Il eût fallu, ou tout dire, ou ne rien dire. Effrayé par
le « tout » – qui incluait la profanation d’une sépulture et la
fornication avec une sorcière – je choisis d’emblée le « rien »,
et de souffrir seul et sans aide la male fortune dont j’étais frappé.
C’est fort déconfit et déconforté
que je quittai l’Aiguillerie. Persuadé après mon humiliant échec avec la
Thomassine qu’avec M me de Joyeuse j’échouerais aussi, j’attendis
avec une appréhension si poignante le mercredi où elle me recevait que je n’en
dormis point de trois nuits, et c’est fort pâle, les yeux battus et la mine
défaite que j’apparus devant elle, la priant incontinent, et d’une voix
éteinte, de m’accorder un entretien en son particulier. Alarmée de mon ton et
de mon apparence, elle renvoya ses dames d’atour et me reçut dans sa ruelle,
étendue sur la couche et moi assis à son chevet, sur une escabelle, fort coi et
vergogné, et balançant jusqu’où je devrais aller dans ma confession. Car M me de Joyeuse était trop fine pour se contenter de la version écourtée que j’avais
donnée à la Thomassine. Elle voudrait savoir le quoi et le qu’est-ce de cette
grande ire que j’avais allumée chez la Mangane, et si je lui révélais, ne
devrais-je pas aussi lui dire le reste ?
— Ha mon mignon ! dit-elle
au bout d’un moment de sa voix douce en m’envisageant de ses yeux mordorés,
est-ce donc si grave que vous vous accoisiez, même avec moi ? Ne
savez-vous pas que je suis votre amie, et que ni mon appui ni mon amitié ne
vous feront défaut, quoi que vous ayez fait ?
À cela qui excessivement me toucha,
je versai des larmes, mais sans pouvoir parler, tant le nœud de ma gorge me
serrait.
— Mon Pierre, dit M me de Joyeuse, ne restez pas posé comme souche sur cette escabelle. Venez céans,
en mes bras, comme ceci, posez votre tête là, et dites-moi tout – je le
veux, ajouta-t-elle avec un ton d’autorité.
Ce ton me décida. Je lui obéis comme
je faisais toujours, un peu parce qu’elle était de quinze ans mon aînée et une
fort haute dame dont j’admirais la grandeur et beaucoup parce que je lui avais
une gratitude infinie pour sa constante et émerveillable bonté. Ainsi tout
blotti et ococoulé contre son corps suave, la joue sur son tétin, le bras
autour de sa taille, sans rien omettre et sans rien déguiser, je lui contai
tout, confiant que tout elle me pardonnerait. Ha ! Papistes !
Papistes ! Répondez-moi ! Peut-on jamais trouver meilleur confesseur
que l’être dont on est aimé ?
Non que M me de Joyeuse ne
coupât mon récit par ses indignations, mécontentements et murmures,
s’écriant : « Ha Pierre ! comment avez-vous pu ? »
« Ha mon mignon, que ceci est déshonnête !…» « Jésus, l’atroce chose ! »
« Fi donc ! Vous rompez toutes lois ! » « Ouït-on
jamais semblable infamie ? » « Quoi ! Besogner
sorcière ! Et sur une tombe ! » Mais à chaque fois, son geste
démentant sa parole, elle me caressait d’une main le cheveu, et par une douce
pression de son autre main sur mon épaule, me donnait à entendre que j’étais
toujours son ami.
Il fallut enfin en venir au pire.
Pendant le récit de ce qui s’était passé rue de la Barrelerie, elle resta coite
et interdite et sans un doigt bouger. Puis après quelques soupirs qui étaient,
je gage, mi de compassion pour moi, mi de regret pour elle-même, elle me dit,
d’un ton léger et rassurant :
— Sachez-le, Pierre, M. de
Joyeuse, qui connaît bien le monde, prend ces simagrées à grande gausserie. Il
opine que le nouement de l’aiguillette n’est ni infernal ni véritable. Que le
nœud est dans le noué, et pas ailleurs. Que c’est sa propre imagination qui
produit l’empêchement. Il dit aussi que Michel de Montaigne le lui a démontré à
Bordeaux par maints probants exemples et raisons sûres et
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