En Nos Vertes Années
et pensant peut-être que son instruction
pourrait ne pas être si secrète pour vous que pour moi, je suis venu requérir
vos lumières, s’il vous plaît de me les départir.
— Ha ! dit Fogacer, et
dans la chambre que ses longues jambes et ses longs bras eurent l’air de
remplir toute, il se mit à marcher sans piper, et me jetant un œil de temps à
autre, l’air songeur et circonspect.
— Pierre, dit-il enfin, qui
vous fait penser que l’instruction de ce procès pourrait être moins secrète
pour moi que pour vous ?
Mais à cela j’avais une réponse
prête qui n’était point tout à fait la vraie, ne voulant pas effaroucher
Fogacer en faisant état des dires de Cossolat.
— Vous avez, le jour du
Carnaval, arraché l’inscription rimée qu’on avait épinglée sur le mannequin
d’un juge.
— Ha ! dit-il en
s’asseyant, la face fort soulagée. C’est donc cela ! Que voulez-vous,
poursuivit-il avec un geste nonchalant de son long bras. Je n’aime pas qu’on
diffame ! Quant au juge, ajouta-t-il d’un air négligent, il est
vrai : je le connais un peu.
J’admirai cet « un peu »
et n’en pensai pas moins, mais restai coi.
— Eh bien, ajouta-t-il, que
voulez-vous savoir ?
— Si je suis nommé en cette
affaire.
— Ha ! dit Fogacer, nous y
voilà enfin ! Siorac, à ce jour, je dis bien, à ce jour, vous êtes décrit,
mais point nommé.
— Et m’a-t-on reconnu à la
description ?
— Le Présidial, non. Et moi,
incontinent, car bien vous connais-je, et bien sais-je aussi que vous êtes
vaillant, haut à la main et fort impétueux. Et bien ai-je reconnu Merdanson et
Carajac à leurs terribles carrures.
— Fogacer, dis-je, le nœud de
la gorge serré, l’avez-vous dit à mon père Saporta ?
— Je le devais. Mais il m’a
déclaré qu’il n’exclura personne de l’École à moins que vous ne soyez
condamnés. Il est aussi fort embarrassé, ayant accepté le don anonyme d’un
petit squelette dont il ignorait la provenance.
Là-dessus, il se mit à rire à ventre
déboutonné, tant il lui paraissait plaisant que le Chancelier Saporta pût être
poursuivi pour recel de cadavre. Mais comme cette gaîté je ne pouvais partager,
ayant trop à perdre dans l’affaire, je ramenai Fogacer à nos moutons, si peu
blancs qu’ils fussent.
— Fogacer, qu’opinez-vous de la
Mangane ?
— C’est le procès qui fait la
sorcière et non l’inverse. Si vous mettez à la question une pauvre garce pour
lui faire dire qu’elle a forniqué avec le Diable, tenez pour certain qu’elle le
dira.
— Vous opinez donc que la
Mangane ne détient pas de surnaturel pouvoir ?
— À mes yeux, non. Et pas
davantage la Mangane que toute sa famille et toute la sorcellerie de France et
de Navarre.
— Pourtant, dis-je, la salive
séchant dans ma bouche, quand une sorcière noue l’aiguillette et jette une
piécette à terre, la piécette disparaît. C’est donc que le Diable l’a prise.
— Naïf Siorac ! C’est là
jeu de farce et tour de batellerie : la sorcière fait sonner la pièce sur
le pavé et prestement la ramasse. Après quoi, cherchez toujours. Pourquoi
pensez-vous que la piécette intervient dans l’affaire, sinon pour vous frapper
de la terreur de sa disparition, l’ayant ouïe tinter ?
— Mais d’où tenez-vous cela,
Fogacer ? dis-je, béant.
— Le Présidial est accoutumé,
quand on arrête une sorcière, de placer dans sa geôle une fausse sorcière à sa
solde pour la faire jaser.
— C’est donc tout tromperie.
— Certes.
— Et nos juges le savent et ils
les brûlent ?
— Pour ce que les juges, du
moins les nôtres, tiennent que cette tromperie est elle-même diabolique. Pour
eux, jouer à la sorcière est aussi damnable que de l’être. Car la sorcière
trouble l’ordre du monde, adorant Satan et non pas Dieu.
Ceci donna pâture à ma réflexion et
je commençais à penser – comme disait M. de Joyeuse – que je m’étais
moi-même noué. Mais ce penser ne me fit que passer en tête, ayant de présent
d’autres chats à fouetter, et beaucoup plus griffus, dentés et terrifiants.
— Et Cabassus ? dis-je.
— Ha Cabassus ! dit
Fogacer. La Mangane l’ayant nommé, le Présidial l’a cité à comparaître, mais il
s’est récusé, arguant qu’il était prêtre et qu’il relevait de la juridiction de
son évêque.
— C’est fort bien.
— C’est fort mal. Car le
Présidial a sommé l’Évêque
Weitere Kostenlose Bücher