En Nos Vertes Années
devine.
Non que je craignisse que la Mangane dénonçât notre dissection secrète :
qui croirait une garce qui, depuis le procès qui avait voué sa famille au
bûcher, passait pour sourde, muette et rassottée ? Mais le nouement de
l’aiguillette et son horrible efficacité n’étaient point un pensement que pût
oublier facilement un homme qui comme moi tirait tant d’orgueil et de si suaves
délices de sa virilité.
Ce jour-là se traîna plus long
qu’une année, mais au bout de ces heures où je fus sans répit travaillé par mes
appréhensions, ce supplice à la fin s’achevant, je courus chez la Thomassine,
et réfugié dans ses bras et contre ses tétins (qui tant me ramentevaient ma
bonne Barberine) je la mignonnai, je la couvris de baisers, et à la fin, fort
enflammé, cuidai que j’allais triompher du sortilège de la Mangane. Mais ce
feu, tout soudain, s’éteignit et ce fut comme si un mur se dressait entre son
corps et moi. Je défaillis et retombai sur son sein, inerte et sans honneur.
Étonnée assez, mais maternelle et douce comme à l’accoutumée, la Thomassine me
berça sans piper contre elle, m’appelant des noms mignons qu’elle me donnait et
moi, atendrézi de tant d’amour et éclatant en sanglots, je lui dis – non
certes le déterrement où j’avais mis la main – mais la mutilation dont
j’étais la victime.
La Thomassine ne prit pas la chose à
la légère, et la mine sombre et les yeux fort chagrins, elle me conta plus de
dix occasions où dans ses monts des Cévennes d’aucun malheureux dont le sorcier
avait noué l’aiguillette lors de ses noces vécut sa vie durant auprès de son
épouse sans la pouvoir toucher, alors qu’avec d’autres garces il était
vaillant.
— Ha Thomassine, dis-je, plût
au ciel que le sortilège fût à ce point électif qu’il ne visât que ma seule
épouse – que je n’ai point !
— Puisque convolé tu n’as
point, dit la Thomassine, alors, c’est que de toutes les garces le sortilège
t’empêche l’usance, et c’est bien pis pour toi, mon pauvre Pierre.
Parole qui ne fut point pour me
conforter, non plus que tous les récits qu’elle me fit et que je dus
interrompre, tant ils m’enfonçaient plus outre dans la désespérance.
— Mais Thomassine, dis-je
enfin, n’y a-t-il point de remède ? Dieu ne peut-il dénouer ce que le
Diable a noué ? À ce compte le Diable serait plus puissant que Dieu !
À quoi la Thomassine resta le bec
cloué, sa foi étant des plus simples. Elle allait à la messe tous les dimanches
à Saint-Firmin, suivie d’Azaïs qui portait son missel, lequel missel la
Thomassine tenait gravement devant ses yeux, sans jamais page tourner, car
sachant bien compter, elle ne savait pas lire.
— Je n’ai point ouï, dit-elle
au bout d’un moment et, se soulevant sur son coude, elle mit, pour m’aiser, un
coussin sous ma tête, je n’ai point ouï que le sortilège ait jamais été défait,
sauf dans le cas d’un laboureur de mon village qui s’en confessa le lendemain à
son curé.
— Ha Thomassine ! dis-je,
tu oublies que je suis huguenot et que je récuse la confession. De reste, s’il
suffisait de se confesser pour guérir, verrait-on tant de pauvres droles empêchés
par le nouement de l’aiguillette ?
— Il est vrai, dit-elle avec un
soupir. Il est vrai aussi que le curé du laboureur que j’ai dit, était lui-même
quelque peu sorcier – mais un sorcier pour le bien, non pour le mal –
et avait plus de pouvoir qu’un autre.
— Et ce bon sorcier est-il
toujours en tes monts des Cévennes ? Ventre Saint-Antoine, dis-moi
seulement son nom, et où il gîte, et je selle incontinent mon cheval pour
courir me confesser à lui, tout papiste qu’il soit.
— Il est mort, dit la Thomassine.
Et comme elle disait ceci, mourut
aussi l’espoir qu’elle avait suscité. Je la quittai, plus sombre infiniment que
je n’étais avant notre entretien, et me voyant condamné au plus morne avenir,
vivant par force les aigreurs et les tourments de la chasteté, – vertu
tant prônée par nos églises, mais que j’ai en profonde horreur, la tenant pour
contraire à l’état de nature, et faisant d’un homme moins qu’un homme, et d’une
femme moins qu’une femme : dommageable et dangereuse diminution de leur
être, et non point, certes, ascension à un état ineffablement supérieur, comme
parfois on le prétend.
Le lecteur se demandera peut-être
pourquoi mon
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