Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
indulgence
à la grossièreté d’un soldat qui dîne parfois – vous m’entendez –
d’un croûton de pain au revers d’un talus. Mais, mon cœur, toutefois, est à
vous. Commandez. Vous serez obéie.
    — Monsieur, il n’est dans le
Languedoc que le Roi qui puisse vous commander.
    — Ha Madame ! dit le
Vicomte de Joyeuse avec un soupir, puissiez-vous dire vrai ! Mais je n’ai
en cette province qu’une autorité « par essence confuse » comme dit
Michel de Montaigne, disposant de trop peu de troupes pour peser lourd à dextre
comme à senestre ; et j’agis davantage par la persuasion que par le
commandement. Nos Montpelliérains sont si rebelles et si rebiqués !
Savez-vous comment le Roi de France les appelle ? « Mes petits rois
de Montpellier ! »… Néanmoins, je le répète, commandez, vous serez
obéie.
    — Monsieur mon mari, si vous
l’entendez ainsi, il faut sauver nos trois écoliers et du Présidial, et de
l’assassinat.
    — Il sera plus facile de les
sauver du premier que du second, nos dévots étant gens implacables. Mais dès
demain, je m’y emploierai de toutes mes forces, Madame, je vous le promets.
    — Ha, Monsieur, dit M me de Joyeuse, que je vous ai de grâces et de mercis ! Laissez-moi, je vous
prie, vous bailler un présent digne de vos immenses bontés. Je vous fais don à
ce jour irrévocablement de la vaisselle de vermeil que je tiens de mon père.
    — Madame, dit le Vicomte de
Joyeuse en se levant avec la vivacité d’un jeune homme et en lui baisant la
main, c’est trop ! C’est mille fois trop ! J’ai en propre ma
vaisselle d’argent et elle me suffit, étant fort simple en mes goûts et fort
éloigné de toute pompe comme vous savez (M me de Joyeuse ne laissa
pas de rire en me répétant ce propos). Mais Madame, les libéralités à votre
endroit de Monsieur votre père sont infinies. Vous êtes riche, je ne le suis
point. Et s’il vous plaît, à cette occasion, de remplir ma cassette, je vous en
saurais un gré infini.
    — Et, Madame, l’allez-vous
remplir ? dis-je, béant, après avoir écouté ce récit le soir même de la
bouche de M me de Joyeuse.
    — À ras bord – encore
qu’elle soit sans fond.
    — Mais Madame, dis-je, à ce que
M. de Joyeuse a dit de Nismes, si j’ai bien ouï, et de Montpellier, il apparaît
qu’il y redoute par-dessus tout un soulèvement des réformés qui sont si forts
en nos provinces. N’entre-t-il donc pas dans sa politique d’empêcher les
acharnés dévots de cette ville de perdre trois écoliers huguenots, de peur que
les nôtres, pour se revancher, fassent céans un tumulte qu’il ne pourrait
maîtriser ? Et si c’est bien là la politique de M. de Joyeuse, pourquoi le
payer pour qu’il la fasse ?
    À quoi M me de Joyeuse rit
à gueule bec.
    — Mon petit cousin, dit-elle,
vos propos sont abrupts, mais vos raisons sont justes. Vous dites vrai.
Cependant, j’ai pour ma part fort sagement agi, et puisque vous êtes si fin,
vous ne laisserez pas que d’entendre pourquoi, pour peu que vous y
réfléchissiez.
    Quant à ce qui se passa le lendemain
au Présidial entre les juges et le Lieutenant-Général du Languedoc, j’en eus
connaissance par deux récits. L’un par M me de Joyeuse qui le tenait
de son époux, et l’autre par Fogacer qui le tenait de son ami. Et à y bien
penser, je préfère ce dernier, qui est plus proche de la réalité, je gage, M.
de Joyeuse ayant eu quelque intérêt à grossir aux yeux de sa généreuse épouse
les difficultés qu’il rencontra en sa démarche.
    Les juges en étaient à délibérer au
Présidial sur mon sort et celui de mes compagnons, balançant s’ils devaient
résoudre de nous arrêter sur le témoignage de Cabassus, quand le Vicomte leur
fit demander d’être par eux incontinent reçu. Les juges furent fort étonnés que
le Vicomte eût condescendu à venir à eux au lieu de les mander chez lui.
Cependant, les plus acharnés, entendant fort bien ce qu’il allait leur
demander, opinaient qu’il fallait d’abord décider, ensuite le recevoir. Mais le
parti modéré l’emporta, jugeant qu’on ne pouvait faire au représentant du Roi
l’injure de le faire attendre, et que, du reste, il convenait de l’ouïr avant
que de trancher.
    Les juges se levant et s’inclinant
fort bas quand il fut introduit par un bedeau, M. de Joyeuse les salua à son
tour très civilement, et les pria de se rasseoir. Après quoi, il accepta le
siège qui

Weitere Kostenlose Bücher