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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et de
l’asile qui leur était promis à l’hôtel de Joyeuse. Je commandai à Miroul de
seller son arabe et Albière, ayant prêté mon Accla à Fogacer pour qu’il pût
revenir plus vite du lieu secret où, la question de Cabassus prenant fin, il
devait rencontrer son ami. Puis je préparai et distribuai les armes entre nous
trois, donnant à chacun deux pistolets chargés et une épée.
    Quatre heures avaient sonné, je
crois (ici ma remembrance est un peu incertaine) quand je reconnus le trot bien
particulier de mon Accla sur le pavé. Je me penchai par la fenêtre, et Fogacer,
levant les yeux au même instant, me fit oui fort gravement de la tête.
    — Compains, dis-je, nous sommes
nommés ! Partons sans tant languir !
    On dévala l’escalier à se rompre le col.
Fogacer me rendant mon Accla, nous fûmes tous trois en selle en un clin d’œil
et pas une minute trop tôt, car au moment où nous donnions de l’éperon, un
groupe d’hommes assez menaçants venaient à nous par la rue de la Barrelerie,
lesquels à leur allure je pensais être quelques-uns des laboureurs du matin.
L’ami de Fogacer n’avait donc pas été le seul juge à parler, la torture de
Cabassus à peine achevée : le parti adverse savait qui nous étions et déjà
agissait.
    — Piquons ! criai-je.
    Et nos trois chevaux, arrachant des
étincelles au sol, bondirent comme fols sur le pavé.

CHAPITRE XII
    M me de Joyeuse était fort
dolente, et malgré que l’après-midi fût jeune encore, déjà en son déshabillé du
soir et couchée, quand je fus admis en sa présence.
    — Ha Pierre ! me dit-elle
d’un air chagrin en se soulevant sur son coude, je ne suis plus ce que j’étais.
Il fut un temps où un petit souper d’une douzaine de plats, arrosé de deux ou
trois flacons de bon vin, me laissait le lendemain fraîche comme fleur à la
rosée de l’aube. Hélas ! Ce temps n’est plus ! Qu’ai-je mangé
hier ? Autant dire rien : quelques saucisses de Bigorre, trois ou
quatre tranches de jambon, la moitié d’un loup pêché le matin, un chapon rôti à
l’ail, une crème aux œufs, quelques petites tartes amandines, et enfin, ces
dragées, nougats, pâtes de fruit et autres sucreries et casse-gueules dont je
suis friande assez. De vin, très peu. Un flacon de rosé, deux ou trois verres
de frontignan. Bref, une misère ! Et me voilà, mon Pierre, le foie tout rebiqué,
l’estomac sourcilleux et qui pis est, mon pauvre mignon, un teint à faire
horreur malgré tout le pimplochage que j’y ai mis.
    — Ha Madame ! dis-je, vous
vous diffamez ! Je ne sais ce qui se passe au-dedans, mais le dehors est
aussi ensorcelant que jamais, et si vous n’étiez souffrante, je vous le ferais
bien voir !
    — Ha mon Pierre ! Je vous
prie ! Ne me baisotez pas ! La gueule me pue affreusement ! Et
ne me bougez pas non plus. Au moindre branle, j’ai un appétit à vomir que vous
ne sauriez imaginer.
    — Madame, dis-je en m’asseyant
sur une escabelle à son chevet, je suis au désespoir que vous ne soyez pas en
état de recevoir ma curation, laquelle pourtant est réputée souveraine quand on
est bâtie comme vous.
    — Pierre ! Pierre !
Ne me faites pas rire non plus ! dit-elle en riant, la tripe me travaille
trop. Mais dites-moi, poursuivit-elle, est-il donc véridique que vous me
trouvez un corps assez passable ?
    — Ha Madame ! Vous êtes
faite au tour ! Et si ravissante en vos rondeurs que j’emporte quand je
vous quitte le souvenir de vos belles courbes dans le creux de mes paumes.
    — Ha Pierre !
Pierre ! Que vous êtes donc caressant ! Votre langue est de
miel !
    À quoi m’accoisant, je la regardai
d’un air fort entendu qu’elle entendit fort bien.
    — Mon petit cousin, dit-elle
avec un soupir, point de tentation, je vous prie. Je ne le peux. Et non plus ne
le veux, étant toute au repentir et à Dieu, quand le corps me pâtit.
    — Madame, dis-je, le petit abbé
qui vous confesse vous absout. Aurait-il l’impertinence de vous mettre à la
diète ?
    — Il faudrait beau voir !
dit M me de Joyeuse. Mais dès que le foie me tracasse, je ne laisse
pas d’être douillette aussi en ma conscience. Pardonnez-moi.
    — Madame, dis-je gravement en
m’agenouillant au chevet de son lit, vous pardonner ? moi qui ne rêve que
de vivre à vos pieds !
    À quoi fort touchée, elle avança la
main et emmêlant ses doigts à mes boucles, elle me caressa le cheveu.
    — Ainsi, dit-elle changeant

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