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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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lui était baillé et dit tout uniment, sans sourciller, sans hausser
la voix, et d’une voix plus chagrine que sévère :
    — Messieurs, je gage que vous
délibérez sur cette affligeante affaire où un petit cousin de ma femme s’est si
imprudemment fourré et encore que loi soit loi, et la justice égale pour tous,
vous me voyez fort marri à la pensée que mon parent puisse souffrir un sort
dont le déshonneur rejaillirait sur moi. Il n’en reste pas moins, poursuivit M.
de Joyeuse, que le crime est patent : nos trois écoliers en médecine ont
déterré une ribaude et un orphelin, à vrai dire sans idée de lucre ni intention
sacrilège, mais pour en savoir davantage sur la géographie du corps humain,
comme le grand Vésale lui-même avait fait, enlevant en sa jeunesse un pendu au
gibet de Louvain. Ramentevez-vous aussi, Messieurs, que le Chancelier Rondelet
ne craignit pas de disséquer son propre fils pour connaître l’intempérie dont
il était mort.
    — C’est différent, dit un des
juges. L’enfant n’était pas inhumé.
    — Certes ! Certes !
Mais considérez, je vous prie, que par leur fâcheux déterrement, nos droles
n’ont pas offensé, en Montpellier, de notable famille : l’orphelin était
élevé par la charité publique. Et quant à cette ribaude – gouge vivant en
vilité publique et tenant boutique de son devant – personne ne sait de qui
elle était la fille. Du reste, nos droles l’ont, après dissection, réinhumée…
    — Mais sans son cœur, dit un
des juges.
    — En avait-elle en son
vivant ? dit M. de Joyeuse, esquivant avec adresse par cette petite
gausserie les marécages d’une disputation théologique sur les difficultés d’un
corps mutilé à recevoir tous les bénéfices de la Résurrection des morts. Reste,
poursuivit-il, le petit orphelin dont on a fait un squelette. Cas pendable, je
vous l’accorde. Mais où est ce squelette ? Le savez-vous ? En l’École
de médecine. Nos écoliers en ont fait un don anonyme à Monsieur le Chancelier
Saporta, lequel a eu l’imprudence d’accepter. Il suit de là que si vous
poursuivez mon petit cousin et ses deux compagnons, il vous faudra aussi
poursuivre M. le Chancelier de l’École de médecine pour recel de cadavre.
    — Et pourquoi non ? dit
alors le plus acharné des juges.
    À cette réplique, qui n’était pas
sans quelque impertinence, M. de Joyeuse se rebiqua fort. Il fut un instant
avant de répondre, mais quand il répliqua, son ton, sa face et son déportement
changèrent du tout au tout. Il se leva, et fort sourcillant (que son courroux
fût vrai ou contrefait) il dit d’une voix irritée :
    — Et pourquoi non, en
effet ? Et pourquoi ne pas me faire aussi, comme hier, un tumulte derrière
mon dos ? Et pourquoi ne pas lancer aussi des laboureurs zélés pour occire
Cossolat, lequel, tout huguenot qu’il soit, me sert fidèlement ? Ou contre
mon petit cousin ? Ou contre ses compagnons ? Ou contre le Chancelier
Saporta, lequel est pareillement huguenot ? Messieurs, il ne suffit pas de
juger. Il faut savoir ce que l’on veut. C’est fort beau de jeter trois
têtes – dont celle de mon petit cousin – à la face des huguenots.
Mais voulez-vous qu’ils prennent les armes et viennent forcer les portes du
Présidial pour vous fourrer dans la geôle de ville ? Voulez-vous qu’ils se
saisissent de Montpellier, comme ils en ont le pouvoir, ayant le nombre et les
armes et les talents qu’il faut ? Et que pourrais-je faire alors, sinon me
réfugier avec ceux d’entre vous qui auront été épargnés dans le fort
Saint-Pierre pour y soutenir un siège dont nul à l’avance ne pourra connaître
l’issue ?
    À quoi les juges pâlirent et, saisis
tout soudain d’épouvante, s’entrevisagèrent un instant en silence, le nœud de
la gorge serré.
    — Monsieur le Vicomte, dit
enfin l’un d’eux, d’une voix tremblante, disposez-vous de si peu de moyens pour
protéger les loyaux sujets de notre souverain ?
    — Je dispose d’une poignée de
soldats dont d’aucuns – et les meilleurs – sont gagnés à la réforme
et s’en cachent à peine.
    — Mais, Monsieur le
Lieutenant-Général, dit alors un des acharnés, nous pouvons espérer des
renforts. Le Roi et la Reine-mère viennent de lever six mille suisses.
    — En effet, dit M. de Joyeuse
sur un ton d’ironie, six mille suisses dont nous ne verrons pas un seul céans.
Pas plus que je ne verrai un écu, car le Roi

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