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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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devant
lui, et pis encore, de respirer les pets et les crottins des chevaux, ayant le
nez fort fin pour toutes les odeurs, hors la sienne. En outre, il entendait
marcher à l’aise à son allure, sans croupe ni dos pour lui barrer l’horizon, ni
monture qui eût eu l’insolence de lui disputer le passage. À sa dextre et
quelque peu en retrait, Frère Antoine chevauchait, moi-même, son truchement,
sur sa senestre au botte à botte, et derrière lui, le page Rouen, qui n’était
guère désoccupé, le Baron l’envoyant continuellement porter ses messages, ses
questions et ses ordres d’un bout à l’autre de la colonne. Derrière Rouen
trottaient, sur de massifs chevaux, les soldats du Baron, en morion et
corselet, au nombre de six, tous fort grands et larges, la face tannée et
couturée, et l’œil fort peu évangélique. S’ils n’avaient été du domestique du
Baron, ils eussent pu faire, je gage, d’assez effrayants brigands.
    Sauf le Frère Hyacinthe qui,
immutablement, fermait la marche, les rênes lâches et les mains croisées sur sa
bedondaine, le reste de la compagnie chevauchait à sa fantaisie, quand et quand
changeant de place dans la colonne, selon ce que chacun avait à dire, et à qui.
Ce qui faisait un perpétuel va-et-vient, ces Normands étant grands conteurs et
jaseurs, et, comme j’ai dit, merveilleusement rieurs, et aimant à entonner des
chansons dont d’aucunes faisaient sourciller Frère Antoine quand il en ouïssait
les échos. Mais de cela Caudebec n’avait cure, dépêchant Rouen pour faire répéter
les couplets qui avaient capté sa faveur. Les dames, au nombre d’une douzaine
en cette petite troupe, se cachaient alors le visage sous les grandes coiffes
dont elles se protégeaient du soleil, mais ne laissaient pas pour autant de
rire en tapinois aux plus effrontés passages. C’étaient toutes, sauf une,
d’assez jeunes veuves, qui n’étaient pas sans avoir connu les agréments de la
vie, au demeurant bourgeoises bien étoffées, qui pèlerinaient pour le plaisir
autant que par piété. Elles portaient belle et commode vêture, fines bottes,
bracelets d’or au poignet, mais nulle, assurément, n’était mieux parée que Dame
Gertrude du Luc, qui me parut aussi avoir le pas sur les autres, son défunt
mari ayant été de robe, comme je l’appris.
    Lors de notre département de
Carcassonne, bien que le jour fût beau, il n’y eut point de ris ni de chansons
dans notre troupe, l’humeur de tous était au grave, et de tous, la veille, les
armes avaient été bien revues et fourbies, car c’était en la partie du chemin
qui s’étendait devant nous que les gueux des Corbières avaient vilainement
occis les marchands thoulousains.
    Le Baron, qui avait bu fort
modérément la veille, restait fort silencieux, l’œil sur l’horizon et à dextre
comme à senestre, observant la moindre ondulation de terrain comme s’il eût
craint de voir surgir les caïmans. Cependant, au bout d’un moment se rassurant,
il me jeta un coup d’œil qui n’était pas sans aigreur.
    — Monsieur de Siorac, dit-il,
si je suis ce jour occis, la compagnie où je me trouverai au moment de ma mort
ne sera pas indifférente, je crois, au jugement que le Seigneur Dieu passera
sur moi.
    Ce début me piqua fort, et je dis
d’un ton un peu vif :
    — J’espère, Monsieur le Baron,
que vous me trouvez d’assez bonne condition pour mourir à vos côtés.
    — Il ne s’agit pas de
condition, dit le Baron en sourcillant, mais de foi. Monsieur de Siorac, il me
faut vous demander tout net : Êtes-vous bon catholique ?
    Ha ! Pensai-je. Nous y
voilà !
    — Je le suis autant que je peux
l’être, dis-je en équivoquant. Et du reste, serais-je céans avec vous,
connaissant votre zèle, si je ne l’étais point ?
    — Voire ! dit le Baron.
Vous confessez-vous ?
    — Une fois l’an.
    — Une fois l’an ! s’écria
le Baron. Sanguienne ! C’est bien peu ! Moi, Baron de Caudebec, je me
confesse tous les jours que Dieu fait !
    — C’est que vous êtes fort
dévot, Monsieur le Baron, dis-je d’un ton courtois. Mais le Concile de Latran
ne fait commandement d’Église que de la confession annuelle.
    À ceci, comme bien je m’y attendais,
le Baron béa, et se tournant vers Frère Antoine, il l’interrogea de l’œil.
    — Cela n’est point faux, dit
Frère Antoine, ses épais sourcils lui barrant la face. Mais on n’est pas bon
chrétien si l’on reste d’un bout à

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