En Nos Vertes Années
vois à Nismes.
— Moussu, dit-elle, mollissant
quelque peu.
Peux-je avoir fiance en vous ?
Pourriez-vous nommer la personne chez qui vous alliez céans demeurer ?
— Mamie, dis-je, je ferai
mieux : je vous montrerai la lettre que j’eusse dû lui remettre. La voici,
poursuivis-je et, ôtant mon corselet, je sortis de mon pourpoint le pli et le
lui tendis.
— Il n’est point cacheté.
Lisez-le.
— Ha, moussu, dit-elle fort
radoucie, vous agissez à si nette et si franche guise avec moi que je commence
à vous aimer.
Rosissant, et non sans quelque
vergogne, elle ajouta :
— Bien sais-je compter, mais
bien peu sais-je lire. Moussu, peux-je envoyer quérir mon cuisinier, lequel lit
aussi bien que curé en chaire, et me dira si je dois avoir en vous autant de
fiance que mon sentiment m’y porte.
Et là-dessus, elle me bailla une
œillade si douce et un sourire si chaleureux que je ne pus que consentir. Ayant
dit alors quelques mots à l’oreille de sa chambrière, elle s’assit sur une
escabelle, je m’assis à mon tour, et n’ayant rien à faire que d’attendre, nous
nous entrevisageâmes un assez long temps, et tous deux s’accoisant pour ce que
chacun aimait fort ce qu’il voyait, sans que le moment fût encore venu de le
dire.
On toqua à l’huis, et sur le cri
d’entrez que fit l’alberguière, un cuisinier s’avança, dodu assez, ayant bonne
trogne et gros nez, mais aisé en ses manières, et l’alberguière, incontinent,
lui tendit ma lettre, lui demandant fort civilement de la lire. Ce qu’oyant le
cuisinier, il me fit un petit salut, mais ce qui m’étonna fort, sans ôter sa
toque blanche. Et sans qu’on l’y invitât, il s’assit avec un certain air de
pompe, et lut la lettre fort gravement, tandis que l’alberguière le considérait
avec un respect que peu de cuisiniers, je gage, peuvent attendre de leur
maîtresse. Quand il eut fini, le cuisinier se leva, me fit un profond salut,
mais sans ôter sa toque davantage et, tendant la lettre à l’alberguière, croisa
les mains sur sa bedondaine et dit d’une voix fort suave :
— Madame, la lettre est écrite
par M me la Vicomtesse de Joyeuse à M. de Montcalm, notre juge-mage,
et lui recommande ce gentilhomme, lequel est son petit cousin…
— Le petit cousin de M me de Joyeuse ! s’écria l’alberguière, fort ébahie et m’envisageant d’un œil
nouveau.
— Ce gentilhomme se nomme
Pierre de Siorac, dit le cuisinier en levant la main comme s’il n’était pas
accoutumé à être interrompu. Il est fils cadet du Baron de Mespech en Périgord.
M. de Siorac, et son frère Samson sont tous deux écoliers. Et Pierre de Siorac,
ayant commis en Montpellier quelques imprudences (ici, l’alberguière me regarda
d’un œil tendre, n’imaginant pas que ces fautes pussent être autres que celles
qu’elle croyait deviner), la vicomtesse demande à M. de Montcalm de les retirer
un moment chez lui jusqu’à ce que les esprits à son endroit se calment. M me de Joyeuse ajoute que M. Pierre de Siorac est, comme son père, un huguenot
loyaliste et qu’en aucun cas il ne portera les armes contre son Roi…
— Ha, moussu ! s’écria
l’alberguière. Voilà qui est fort bien ! Voilà qui me rassure ! Ma
fiance en vous est de présent entière ! Je ne vais rien vous celer non
plus !…
— Madame ! coupa le
cuisinier sur un ton d’autorité avec un bref sourcillement. Votre fiance va
trop vite en besogne ! M. de Siorac a toute l’apparence d’un bel et bon
gentilhomme, mais il est huguenot, fidèle sans doute à son parti…
— Certes ! criai-je. Mais
pas au point de commettre des assassinats ! Ni de prendre une ville au
Roi ! Compain, ajoutai-je en me dirigeant vers le cuisinier et en lui
saisissant les deux mains (lesquelles étaient fort douces et point du tout
celles qu’on eût attendu de son état) si je peux aider quelqu’un ici à sauver
sa vie en le préservant des excès que commettent les miens, je le ferai !
Et disant ceci, non sans fougue ni
feu, je ne laissai pas de penser que cette toque blanche qu’on notait jamais
cachait peut-être la tonsure d’un prêtre, qui avait dû recourir à ce
déguisement pour échapper à la chasse qu’on faisait de présent à Nismes à tout
ce qui portait soutane.
— Mais, ajoutai-je. Rien n’est
perdu encore. On fait des prisonniers, on ne les tue pas !
— Ha, Monsieur de Siorac !
s’écria le cuisinier, les larmes lui venant
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