En Nos Vertes Années
Mais peut-être suis-je arrivé trop
tard ? À vous voir occupés céans à recueillir ses biens, je gage que M. de
Montcalm est mort et que vous êtes ses héritiers.
— Il n’est pas mort ! cria
un des picoreurs. Il est en fuite !
— Tais-toi, Vidal, cria l’homme
roux. Maroufle, poursuivit-il en se tournant vers moi, toujours sourcillant et
affectant de me traiter de très haut, je ne crois mot ni demi de cette histoire
de baron et de créance. J’ai déjà vu ta menteuse face quelque part et je te
tiens pour un espion envoyé par les papistes pour surprendre nos secrets !
— Monsieur, dis-je en me
redressant, cramoisi, la main sur la hanche et le verbe fort haut, si vous
voulez bien remettre votre pistolet à votre ceinture et dégainer, je vous ferai
promptement rentrer dans la gorge vos sales accusations ! Je suis de la religion
réformée, et mieux que vous, j’ose le dire ! Car si j’entends bien ce que
je vois céans, il y est moins question de foi que de picorée !
— Insolent faquin ! cria
l’homme en avançant d’un pas et en m’appliquant tout soudain son pistolet
contre la poitrine. Et de l’autre main, l’œil tout soudain farouche, il ouvrit
mon pourpoint que j’avais laissé déboutonné en raison de l’étouffante chaleur,
et découvrit la médaille d’or de Marie, que ma mère m’avait en mourant léguée.
À cette vue, sa fureur portée à son comble, il hurla :
— Et tu oses, traître,
prétendre que tu es huguenot ! Et tu portes autour du col une image
idolâtre ! Tu es papiste, scélérat, et qui pis est, espion papiste !
Et tu n’auras rien gagné que l’enfer à nous épier céans !
Il n’eut pas le temps d’achever que
Miroul, d’un prompt coup du plat de la main, lui faisait sauter son pistolet de
la dextre. Puis lui baillant prestement la jambe, il jeta à terre cette
montagne d’homme, s’assit à croupetons sur sa poitrine et sa dague jaillissant
du fourreau, il la lui posa sur la gorge. Ce fut merveille de voir ce frêle
David terrasser ce Goliath en un tournemain.
— Moussu, dit Miroul, le
dois-je dépêcher pour ses cruelles insultes ?
— Non point, dis-je.
Ce disant, je dégainai et, ramassant
le pistolet de mon assaillant, je le tins braqué d’une main et, de l’autre, je
pointai mon épée sur les picoreurs, car ceux-ci, d’abord béants, s’étaient
ressaisis et nous faisaient face, leurs armes brandies et la mine menaçante.
— Messieurs, dis-je d’une voix
haute et claire et les envisageant œil à œil, je n’ai point menti. Je suis
huguenot. C’est par amour pour ma défunte mère, laquelle était papiste, que je
porte cette médaille, et non point par idolâtrie. S’il en est parmi vous qui en
doutent, qu’ils me fassent conduire incontinent chez un ministre de notre
culte, afin que j’y sois interrogé sur le fait de ma religion.
Mon ton, mon ferme propos, ma vêture
noire, et la proposition que je fis d’être examiné, ne furent pas sans les
ébranler, et aussi, à ce que je vis, sans les embarrasser beaucoup.
— Il faudrait bien, en effet,
l’emmener chez M. de Chambrun, dit celui de ses compagnons que l’homme roux
avait appelé Vidal. Sans cela, que résoudre ?
— Certes, dit un autre. Mais
qui le conduira ?
Ils s’entrevisagèrent un moment en
silence, aucun d’eux n’étant apparemment disposé à abandonner sa part de
picorée aux autres en m’escortant chez M. de Chambrun.
— Monsieur, dit enfin Vidal,
que votre valet libère François Pavée, et nous vous laisserons départir sans
dommage.
— Ai-je votre parole ?
dis-je. Et encore que je n’eusse guère confiance en la parole d’un picoreur, je
voyais bien qu’il me fallait l’accepter.
— Vous l’avez, dit Vidal.
Partez, Monsieur.
— Mais point avant que votre
chef rétracte ce qu’il a dit contre moi ! m’écriai-je d’une voix forte,
tandis que Miroul piquait François Pavée derechef à la gorge de la pointe de sa
dague.
— Je rétracte, dit François
Pavée d’une voix étouffée, mais la haine suintant par tous les pores de sa
vilaine face.
— Messieurs, dis-je, cela
suffira. Posez vos armes contre le mur, le temps que je me retire.
Ils obéirent, je déchargeai le
pistolet de Pavée contre le plafond et le lançai à terre à côté de lui. Puis
faisant signe à Miroul, et sans souci aucun de mon rang, je détalai comme
lièvre levé pour traverser la place, Miroul volant à mes côtés avec
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