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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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se
revancher pour ce qu’ils pensaient n’avoir plus à rendre compte de leurs actes,
si sanglants qu’ils fussent, à quiconque, et pas même au Roi, qui était, à ce
qu’on leur avait dit, dans leurs mains. Je vis incontinent les fâcheux effets
de cette exaltation quand Possaque, s’arrêtant, demanda au grand roux quels
étaient les deux quidams qu’il tenait prisonniers.
    — Ha, rien que du menu fretin,
que je mène à l’Hôtel de Ville, dit le grand roux. Guérinot, le cordonnier, et
Doladille, ouvrier en soie, tous deux acharnés papistes.
    — Petite prise, dit Possaque en
haussant les épaules.
    Mais Jean Vigier, entendant nommer
Doladille, blanchit de colère. Et donnant la roide épaule à tous ceux qui se
trouvaient sur son passage, parvint jusqu’au malheureux soyeux, et le prenant
au collet, s’écria :
    — Ha, Doladille ! Ha,
gallant ! Tu es là !
    Et il lui porta incontinent un grand
coup de son braquemart, mais si maladroitement qu’il ne lui fit au bras gauche
qu’une longue estafilade. Sur quoi Possaque, prenant Vigier par le bras, le
tança fort, disant que ce n’était pas à lui, mais aux chefs, de décider des
exécutions. Et lui ayant ainsi, après maints jurons, rabattu la crête, il le
renvoya en queue du peloton, où Vigier, observant quand on se fut remis en
marche que je ne lui parlais plus, me dit avec naïveté :
    — Hé quoi, moussu ! Vous
ne m’aimez plus !
    — Ha, Vigier ! Frapper un
homme désarmé ! Fi donc ! C’est grande honte !
    — Hé, moussu ! C’est que
ce n’est point n’importe quel homme ! C’est Doladille !
    — Et qui est ce
Doladille ?
    — Il est ouvrier en soie, comme
vous avez ouï, et en toute occasion, décrie et déprise mon état de laineux.
    — Est-ce une raison ?
    — En outre, il m’a cocu cocué
avec ma garce et s’en est partout paonné.
    — C’est traîtrise, certes…
    — Ha, moussu ! Il y a
pis ! Car la malice le gonflant encore, ce Doladille, méchant papiste
qu’il est, s’est vanté, si les huguenots étaient mis hors la loi par
Charles IX, de me dépêcher de sa main et d’épouser ma veuve, ayant,
dit-il, en sa braguette de quoi la convertir à la volée à la vraie
religion !
    Nous ne pûmes disputer plus outre,
Possaque m’appelant pour me montrer l’auberge de la Coquille, qu’il
faisait, à grands cris et à grands coups de pommeau, ouvrir. L’huis enfin
s’entrebâilla et l’alberguière, une fort accorte commère, le tétin haut, l’œil
fier et le verbe assuré, apparut.
    — Qu’est cela ? dit-elle,
la crête dressée. Je suis fermée. On me l’a commandé.
    — On vous commande de présent
autrement, dit Possaque avec rudesse. Accommodez ces gentilshommes, sans tant
baragouiner. Ils arrivent incontinent de Montpellier et ils ont besoin d’un
gîte.
    Et là-dessus, sans trop de civilité,
et Vigier seul me saluant de la main, il s’en alla avec sa troupe à la chasse
aux papistes, dans l’espoir, je gage, de ramener à l’Hôtel de Ville de plus
grosses prises qu’un cordonnier et qu’un soyeux.
    Cependant, l’alberguière, sans mot
piper, et le front de glace, mit Samson dans une chambre et moi dans l’autre,
tandis que son valet aidait Miroul à panser nos montures dans l’étable.
    — Mamie, dis-je en la retenant
par bras comme elle me quittait, qu’est cela ? Vous me montrez mine
revêche ? Œil dur ! Bouche pincée ! Qu’ai-je donc qui vous
déplaît si fort ?
    — Moussu, dit-elle, rien de
votre personne, dont je m’accommoderais assez, mais beaucoup de vos actes.
    — Mes actes ! dis-je,
béant. Qu’ai-je donc fait ?
    — Rien, dit-elle avec un
brillement de l’œil, sinon venir tout exprès de Montpellier pour vous joindre
céans aux massacreurs.
    — Ha, Mamie, m’écriai-je. Vous
me diffamez ! Je n’ai jamais tué personne, sauf en combat loyal. Et je ne
compte pas en votre ville commencer… Je suis à Nismes pour demeurer chez
certaine personne qui est papiste de sa religion. Mais voyant, à mon arrivée
céans, la couleur que les choses avaient prise, je n’ai pas voulu le nommer. Et
me voici en votre logis, sur le commandement de ce Possaque, et bien marri d’y
être contre votre gré.
    — Moussu, dit-elle, dois-je
vous croire ?
    — Vous le devez, mamie, dis-je
en lui mettant les deux mains sur l’épaule (qu’elle avait ferme et potelée). Je
suis huguenot, mais point si zélé et acharné que d’aucuns que je

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