En Nos Vertes Années
sorti ?
— Par ce fenestrou que vous
voyez au deuxième degré du logis.
— Douce Vierge ! dit
l’alberguière. Il faut être mouche ou oiseau pour atterrir de là sans se rompre
le col !
— Ho ! Je l’ai vu mieux
faire ! dis-je, non sans fierté de l’émerveillable agilité de mon Miroul,
lequel, si le lecteur se ramentevoit, escalada sans bruit aucun toutes les
défenses de Mespech pour venir larronner notre jambon, pauvre petit gueux qu’il
était alors et crevant la faim.
— Miroul, dis-je, feignant
quelque déplaisir, qui t’a commandé de me suivre ?
— M. le Baron de Mespech,
partout où il y aurait occasion de péril. Et n’y sommes-nous pas à plein ?
— Oui-da ! Il a
raison ! dit l’alberguière. Mon noble moussu, gardez-vous bien ! Et
toi, Miroul, garde-le !
Quoi dit, et non sans que son bel
œil me lançât, au départir, toute une gerbe de promesses, elle ferma l’huis sur
elle. Ha ! pensai-je, si je reviens entier, douce me sera cette maison.
Dans la rue, allant, venant,
courant, je retrouvai ces pelotons d’hommes en armes, fort échauffés et
toujours sans se lasser mie, criant comme fols : « Tue
papistes ! Monde nouveau ! », et nous espinchant au passage,
d’un œil fort soupçonneux, nos faces leur étant déconnues. Mais j’avais l’air
si tranquille, si grave et si assuré, que personne n’osa nous accoster pour
nous demander quelle affaire nous avions d’être là. Et encore que j’eusse peine
à celer ma compassion, quand je voyais, au milieu de ces acharnés, des moines,
des prêtres et des bourgeois, menés à la maison de ville, pour y être serrés,
comme je l’appris plus tard, dans une chambre basse où on faisait boucherie
pour les malades dans le temps du carême, je détournai les yeux et hâtai le
pas, et me donnai si bien la mine de courir à une mission urgente que je passai
à travers toutes les mailles de ce filet sans encombre ni traverse, et
atteignis enfin la cathédrale, non loin de laquelle, m’avait dit l’alberguière,
se dressait l’Évêché et le logis de M. de Montcalm.
Là, je jugeai que je ne courais plus
aucun péril, car si une foule de huguenots se pressait sur la place, ils
étaient tout à leur affaire, les uns armés, les autres non, pillant l’église et
la mettant à sac, et portant dehors les croix, les images, les statues, les
stalles des chanoines, les brisaient à coups de hache, ne laissant pas
toutefois d’emporter les vases sacrés et les ornements brodés d’or. Sur le
parvis, d’autres entretenaient un grand feu, où ils brûlaient les titres et
reconnaissances féodales du sacré chapitre, criant que c’était bien fini !
Et que personne à Nismes et dans le plat pays ne paierait plus un sol aux
chanoines ! Tous se ruant à la destruction, et à la picorée, avec une
activité forcenée et une allégresse inimaginable, comme si, en effet, de ces
débris épars et de ces cendres, un monde nouveau devait naître, Miroul et moi
nous pûmes passer inaperçus et gagner l’Évêché. Mais là je n’osai entrer, le
palais regorgeant de soldats qui brisaient tout ce qui se pouvait briser, l’œil
furieux et la face ruisselante, si grand était le branle qu’ils se donnaient,
par l’étouffante chaleur, pour hacher menu ce qui leur tombait sous la main.
Jouxtant l’Évêché, je vis un logis
de belle apparence, avec une tour d’escalier, deux étages à encorbellement et,
jugeant que c’était celle de M. de Montcalm et en trouvant la porte ouverte,
j’y pénétrai, suivi de Miroul et y trouvai une dizaine de personnes en armes
moins occupées à détruire qu’à piller, et que mon arrivée parut fort déranger.
L’un d’eux, que je reconnus comme ce grand et gros homme roux qui avait annoncé
à Possaque la meurtrerie supposée de Catherine de Médicis et la capture du Roi
par les nôtres, sourcilla fort à ma vue, comme s’il était courroucé d’être
surpris à cette éhontée picorée. Outrecuide et déprisant, il se dirigea vers
moi d’un air fendant, son pistolet à la main, et me dit du ton le plus
injurieux :
— Drole, qui es-tu ? Et
qu’as-tu à faire céans ?
— Monsieur, dis-je, la crête
haute, je me nomme Pierre de Siorac et je suis fils cadet du Baron de Mespech
en Périgord, lequel, poursuivis-je en inventant ma menterie tandis que je
parlais, possède une créance de cinq cents livres sur M. de Montcalm, que je
suis venu de Montpellier pour recouvrer.
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