En Nos Vertes Années
une
légèreté infinie, en quoi nous fîmes bien, car deux coups d’arquebuse
éclatèrent derrière nous, mais sans succès. À peine, cependant, avais-je tourné
l’angle d’une rue qu’abrité des regards, je m’arrêtai et rengainai mon épée,
bien persuadé que j’étais qu’aucun de ces soudards ne me poursuivrait, étant
bien trop occupé à s’enrichir.
Quand je dis soudard, c’est manière
de parler. Car ce François Pavée, comme je l’appris plus tard, n’était pas un
gueux nourri par la guerre. Il comptait parmi les bourgeois étoffés de Nismes,
ayant pignon sur rue, coffre bien rempli et beau mas en Provence, grâce à quoi
il se nommait seigneur de Servas. Mais la bigoterie, la cruauté et l’avarice se
disputant son âme, il n’en fut pas moins un des trois chefs huguenots de Nismes
qui, à l’insu des autres chefs de la communauté et des ministres du
consistoire, organisèrent en leur ville, pendant la nuit, la sinistre tuerie
dont je devais être témoin.
— Mon maître, dit Miroul, vous
avez maintenant en ce Pavée un mortel ennemi. Il est temps de quitter la ville,
si nous pouvons.
— Mais pas avant d’avoir vu M.
de Chambrun.
— Le voir, moussu ? Et
pour quoi faire ?
— Pour qu’il sache bien que je
suis huguenot, et le fasse assavoir, et surtout, pour tâcher d’arrêter ces
damnables excès, si faire se peut.
— Ha, Moussu ! Vous voulez
toujours tout rhabiller ! dit Miroul.
Et là-dessus, il s’accoisa, fort
vergogné, en sa paysanne délicatesse, d’avoir eu l’air de me censurer.
Le ministre de Chambrun, qui était
aussi humain et pliable que M. de Gasc était roide et cassant, m’interrogea
avec la dernière minutie et voulut bien reconnaître que j’étais fort bien
instruit en la religion réformée, et sincère en mon sentiment comme en ma
pratique, encore qu’il me blâmât sans ambages quant à cette médaille de Marie
que je portais au col et qui me donnait, dit-il, « les apparences de
l’idolâtrie ». Il opinait, en effet, que j’eusse dû sacrifier à la vraie
religion la parole donnée à ma mère mourante. Et là-dessus, après que nous
eûmes disputé un bon moment sans que je le persuadasse et sans qu’il me
convainquît, il me renvoya à ma conscience, phrase qui paraissait avoir
les faveurs de nos ministres, M. de Gasc l’ayant déjà employée à mon endroit.
Mais M. de Chambrun n’y mit pas la même aigreur, bien à rebours. Cependant,
quand j’en vins aux excès présents et à venir de la rébellion à Nismes et à la
nécessité de rhabiller ces blâmables abus, il leva les bras au ciel.
— Ha, Monsieur de Siorac !
dit-il. En temps de guerre, et hélas nous y sommes, les armes ne le cèdent pas
à la toge ! J’ai fait citer devant le consistoire les chefs les plus
violents, François Pavée, le capitaine Bouillargues, et Poldo Albenas, mais peu
leur chaut : ayant la force, ils s’arrogent le droit. Ils répondront à ma
citation avec un apparent respect, mais quand tout sera fini. Et ils nieront
alors, rejetant sur d’autres les exécutions qu’ils auront eux-mêmes commandées.
Tout ce que le consistoire peut faire, c’est limiter celles-ci. Et au mieux, y
mettre un terme.
Je fus atterré de l’impuissance des
ministres de Nismes à brider la cruauté des capitaines et, faisant un retour
sur ma propre fortune, je la jugeai excessivement menacée, François Pavée ayant
tout à la fois le vouloir et le pouvoir de me faire occire sans que personne
pût l’en empêcher.
— Ha, certes ! dit M. de
Chambrun. Pavée, c’est le pire de tous ! Et le plus arrogant. Vous l’avez
défié. Et il n’est pas homme à le souffrir. Je vais écrire au capitaine Bouillargues
un billet où je lui expliquerai qui vous êtes et les iniques soupçons que
François Pavée a conçus sur vous et je lui demanderai en outre de vous signer
des laissez-passer, afin que vous puissiez quitter Nismes avant que François
Pavée n’abatte sa main sur vous.
M. de Chambrun fit comme il avait
dit, et je le quittai, après mille grâces et mercis, mais fort peu rassuré, sa
lettre à Bouillargues venant s’ajouter dans mon pourpoint à celle de Cossolat à
ce même capitaine qui paraissait à Nismes presque impossible à joindre :
faibles remparts, ces deux plis, contre les forts pelotons armés dont disposait
mon ennemi.
Je ne m’alarmais pas en vain, car à
peine avions-nous fait une centaine de pas hors du logis de M. de
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