Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
effrayés, les uns clignant comme
hiboux au soleil, les autres mettant leurs mains devant les yeux, mais tous se
rencognant le plus loin possible de nous, car ils cuidaient peut-être qu’on
allait les abattre sur place incontinent comme moutons pendant le carême. Et à
vrai dire, je le craignis aussi, à observer l’air farouche avec lequel Pierre
Cellerier et les nôtres les contr’envisageaient, leurs yeux étant chargés des
haines et des rancunes mille fois cuites et recuites dans le chaudron de la
persécution.
    Pierre Cellerier s’avança de deux
pas dans la partie de la salle que les papistes avaient laissée vide, et
commandant à un torcheux de l’éclairer, il tira de son pourpoint une liste et
commença à appeler des noms. Cellerier était de son physique trapu et fort
large d’épaules, sa taille tirant vers le petit. La face, éclairée de côté par
la torche, me parut fort grosse de traits, creusée de rides et commune assez.
Et tant par la voix que par la mine et contenance, il avait l’air bien
davantage d’un mazelier que d’un orfèvre, et plus à son affaire dans cet abattoir
qu’à labourer de délicats joyaux.
    Il appela d’abord le premier consul
Gui Rochette, dont Possaque, comme on se ramentevoit, avait devant moi
questionné fort incivilement la mère. Gui Rochette, qui était un fort bel homme
et bien vêtu, s’avança, non sans courage et dignité, sachant bien cependant la
fortune qui l’attendait. Et il ne broncha, ni davantage ne pipa, quand deux
soldats fort roidement l’empoignèrent chacun par le bras. Cependant, quand
après lui, Cellerier appela « Robert Grégoire, avocat », le premier
consul de Nismes montra quelque trouble, et tournant la tête vers l’orfèvre
que, jusque-là, il avait affecté de ne pas voir, il dit :
    — Au nom de Dieu, je vous en
prie, Monsieur, pas Grégoire ! Il n’a rien fait que d’être mon
frère !
    — Cela suffit qu’il soit votre
frère, dit Cellerier en sourcillant.
    Mais la cruelle absurdité de cette
parole le frappant peut-être, il ajouta :
    — Du reste, les Messieurs en
ont décidé ainsi.
    Là-dessus, il répéta :
    — Robert Grégoire,
avocat !
    Et le susdit, qui était fort jeune,
et l’air très effrayé, s’avança et fut saisi par les soldats, mais sans
rudesse, comme s’ils étaient étonnés en leur for qu’il fût livré à leurs
couteaux.
    Cellerier, en troisième lieu, appela
un moine, à qui, comme à Grégoire, il donna son titre, mais en y mettant
délectation et dérision.
    — Jean Quatrebar, prieur des
Augustins et prédicateur ordinaire de l’Église Cathédrale !
    Il mit quelque vengeresse intention
dans la façon dont il prononça le mot « prédicateur », et Quatrebar,
quand il s’avança, fut hué par les soldats, ce qui me donna à penser que le
prieur, dans ses prêches à la Cathédrale, avait dû vouer plus d’une fois aux
flammes de l’enfer et qui pis est, aux bûchers terrestres, nos frères
huguenots. Quatrebar, dont la taille, la force et la mâchoire carrée
paraissaient répondre à son nom, marcha vers les soldats avec une défiante et
fendante vaillance, le front hardi, l’œil enflammé et, envisageant Cellerier du
haut de ses six pieds, il dit d’une voix sonore :
    — Je vous sais gré de me donner
la fin d’un martyr !
    À quoi, les soldats grondèrent, mais
Cellerier, levant la main et déprisant de répondre, poursuivit, le nez sur sa
liste :
    — Nicolas Sausset, prieur des
Jacobins.
    Celui-là était petit, fluet, courbé,
chenu, et soit par l’effet de l’âge, soit par la terreur qui l’habitait, ses
mains, qu’il tenait croisées contre sa poitrine, n’arrêtaient pas de trembler.
Mais combien qu’il eût l’air inoffensif assez, cette apparence devait cacher
quelque malice, car les nôtres le huèrent tout autant que Quatrebar, et ne
furent pas plus tendres à l’empoignement.
    Cellerier reprit :
    — Étienne Mazoyer, chanoine de
l’Église Cathédrale.
    Là, il n’y eut pas de huées, mais
quelques rires, ce qui me fit entendre que le malheureux chanoine devait
d’avoir été désigné davantage à sa fonction qu’à ses actes. Au reste, il
paraissait fabuleusement vieux, rêveux et rassotté, sénilement tremblant,
marchant à grand labour, et comme il s’avançait, n’entendant goutte ni miette à
ce qu’il faisait céans, il demanda à Cellerier :
    — Va-t-on me libérer ?
    — En quelque guise, oui…

Weitere Kostenlose Bücher