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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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combattre,
j’eusse pu, avec Miroul, en navrer et tuer plus d’un. Mais je répugnais à ce
que coulât le sang de ces bonnes gens, si mal qu’ils entendissent les préceptes
de la religion.
    Cependant, le tisserand chantait un
air où il n’était pas question que de tisser et qui eût fait rougir les
chambrières si elles n’avaient eu coutume de tout ouïr en ces banquets. Après
le tisserand, un cardeur de laine y alla de sa chanson, puis un savetier, puis
un ouvrier en soie. En ces refrains, où un chacun exaltait son état très
au-dessus des autres, les paillardises ne manquaient point. Dans celle de
l’ouvrier de laine, il était question d’une mignote qui demandait à son drole
de lui filer un beau fil et de faire grossir son fuseau.
    — Sanguienne ! dit le
grand maigre qui, bien qu’il fût savetier, n’avait point voulu chanter la
chanson de sa corporation. C’est grand péché, je me pense, de chanter salement
et de s’ébaudir à boire et se remplir la panse, alors que nous n’avons même pas
trouvé où se cache cet évêque de merde (à ces mots, l’alberguière dressa
l’oreille). Compagnons, reprit-il en toquant du poing sur la table et en
roulant des yeux furieux, nous rendons bien mal céans notre devoir à
Dieu !
    Et à ouïr ces mots « notre
devoir à Dieu », j’augurai le pire, tant l’homme, qu’il soit papiste ou
huguenot, est accoutumé à les mal entendre.
    — Compagnons, reprit le
savetier en toquant derechef sur la table, dépêchons sur l’heure le moussu.
Nous n’avons que trop langui !
    — Il a raison ! dit Jean
Vigier. Traîtrise il y a. Le moussu porte une idole autour du col !
    — Donc, dépêchons-le, dit le
savetier en dégainant sa dague, et sans toutefois se lever.
    — Quoi ? cria
l’alberguière, se dressant devant lui comme furie, et pas plus effrayée de sa
dague que s’il eût eu une cuiller à la main. Quoi ? cria-t-elle à pleins
poumons. Le dépêcher céans ? Savetier, est-ce ainsi qu’on entend la
civilité dans la saveterie ? Du sang sur mon carreau, que j’ai si bien
lavé !
    — C’est vrai, dit le savetier
en envisageant sa dague d’un œil vague et trouble, comme s’il eût été étonné de
se la voir en main.
    — Savetier, dis-je, l’hôtesse a
raison. Sortons tous les trois pour non pas l’affronter en gâtant son carreau.
    — Trois ? dit le savetier.
    — N’est-ce pas ton commandement
d’occire aussi le valet ? dit Miroul gravement. Avec ou sans idole ?
    — Oui-da.
    — Donc, sortons, dis-je,
cuidant que l’occasion était bonne d’en finir.
    — Moussu, dit le savetier, se
mettant sur pied, non sans peine ni labour. Bien aimable vous êtes d’être si
peu rebéquant quand il s’agit d’être dépêché. De mon côté, point cruel ne suis.
Je ferai l’affaire promptement.
    Il fit quelques pas vers la porte,
où il se serait étalé si nous ne l’avions soutenu. D’aucuns de ses compagnons
firent mine alors de se lever pour le suivre, tant la mort d’un homme est pour
l’homme spectacle qui l’allèche. Mais les jambes de nos bons soldats étaient
fort lourdes, leurs ventres bien ancrés à la table, et les chambrières
apparaissant avec de nouveaux flacons, ils se ravisèrent. Il est vrai que ces
bonnes gens avaient peu souvent l’occasion de tant boire et manger, labourant
tout le jour pour chétif salaire, et ne se remplissant qu’aux fêtes.
    Miroul me prêtant main-forte et
chacun lui tenant un bras, nous dûmes soutenir le savetier jusqu’à une petite
cour close, entre souillarde et cuisine, sur le seuil de laquelle tous les
gâte-sauce étaient accourus, mais sur le commandement du cuisinier, sans un
geste ni mot piper. Là, le savetier ne put marcher plus outre, ses jambes se
dérobant sous lui. Mais comme il ne laissait pas pour autant de donner dans
l’air de grands coups de sa dague, Miroul, craignant qu’il se blessât, la lui
quitta en un tournemain.
    — Moussu, où est ma dague ?
dit le savetier en agitant les doigts et en m’envisageant d’un œil fort égaré.
    — Dans ta main.
    — Certes, dit-il. Je l’y vois,
mais je ne l’y sens pas.
    — C’est que ta main est lourde,
et ta dague légère.
    — Moussu, reprit-il. D’où vient
que tu sois si peu rebéquant à être dépêché ?
    — Et d’où vient que tu me
veuilles dépêcher ?
    — Ha, Moussu ! J’en suis
bien marri. Vu que je me pense de présent que vous n’êtes peut-être

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