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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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j’étais neuf à l’horreur qu’espérant contre l’espoir, je
n’arrivais pas à croire, encore moins à imaginer, que cette cour dont me
frappait la monumentale beauté, et à laquelle les torches flamboyantes
donnaient un air de fête, pût devenir le théâtre d’une mazelerie effroyable. Et
pourtant, pourquoi avait-on choisi ce haut lieu du papisme, sinon pour signifier
à tous qu’il allait être le tombeau de ses zélateurs ?
    Les soldats – s’il faut les
appeler ainsi, car ils étaient presque tous des ouvriers mécaniques commandés
par des bourgeois huguenots – ne se ruèrent pas incontinent à la tuerie,
peut-être parce que leur état ne les avait pas accoutumés à verser volontiers
le sang, et peut-être aussi parce qu’ils attendaient d’en recevoir expressément
le commandement, lequel était plus entendu à demi-mot que vraiment prononcé.
Cellerier lui-même, une fois les prisonniers rendus dans la cour de l’Évêché,
n’eut garde de rien ordonner, et s’en fut aussitôt avec le demi de son peloton
quérir d’autres proscrits à la maison de ville, laissant l’autre demi décider
lui-même ce qu’il fallait faire des malheureux qui étaient là. Et je gage que
ces soldats qui, à part un ou deux, n’avaient guère plaisir à cette vile
besogne, eussent pu tarder fort longtemps encore à plonger les mains dans le
sang de leurs concitoyens, si le prédicateur Quatrebar n’avait montré pour le
martyre tant d’arrogante appétence. Dressé de toute sa taille et la crête fort
haute, il requit à toute gorge, de sa voix de cathédrale, et en très insolente
guise, la permission de prier à voix haute. Irrités, les soldats lui dirent
qu’il le pouvait, à condition que ce fût le Notre Père, et rien d’autre.
Quoi oyant, Quatrebar croisa les bras sur sa poitrine et entonna un Ave
Maria comme si ce fût un paean de guerre. On lui commanda à grands cris,
huées, et grondements, de se taire. Il poursuivit : tant enfin que les
nôtres, hors d’eux-mêmes, se jetèrent sur lui et le percèrent de plus de cent
coups, d’aucuns hurlant ce faisant :
    — Va dedans l’enfer, misérable
idolâtre !
    Là-dessus, Nicolas Sausset se jeta à
genoux et tremblant de tous ses membres, supplia qu’on lui fît grâce, criant
qu’il ne prierait plus Marie, qu’il avait reconnu ses erreurs, qu’il se
convertirait. Mais sa couardise irritant les soldats tout autant que la
vaillance de Quatrebar, il fut incontinent massacré, et tandis qu’on le
perçait, plus couvert d’injures et de crachats que le prédicateur.
    Le pauvre chanoine Mazoyer qui, tout
ce temps laissé seul, n’avait pu se soutenir sur ses jambes, et s’était assis
sur le pavé au milieu de la cour, envisageait tout cela avec de grands yeux et
disait d’une voix bêlante :
    — Qu’est cela ? Qu’est
cela ?
    Il fut tué comme en passant, et nos
hommes, avec de grandes hurlades pour ce qu’ils le haïssaient, se jetèrent
alors sur le premier consul Gui Rochette. Il fallut un moment pour en venir à
bout, car de ses bras, il parait les pointes qu’on lui destinait, tout en
criant qu’on épargnât du moins son jeune frère. Mais cette résistance enrageant
les soldats, une fois Rochette à terre, leur haine déborda sur Robert Grégoire,
qu’ils égorgèrent à la fureur, alors qu’un moment plus tôt, je les avais ouï
s’étonner qu’il fût là.
    Les soldats étaient maintenant tout
échauffés à la meurtrerie et dès que Cellerier amena d’autres prisonniers, ils
ne balancèrent pas autant à les expédier. S’étonnant même que les suivants
tardassent tant à venir, ils commencèrent à dépouiller les occis de leur
vêture, leur arrachaient les bagues et retournaient leurs poches, se plaignant
que celles-ci eussent été visitées avant eux par les soldats de l’escorte. Dès
que cette picorée commença, leur humeur changea et il me sembla que, à part un
ou deux qui ne voulaient toucher à rien de ce qui était à leurs victimes,
l’appétit du lucre ajoutait à leur zèle.
    Le dévêtement des égorgés terminé,
je vis un soldat traîner le corps sanglant de Nicolas Sausset sur le pavé de la
cour et je me demandais ce qu’il allait en faire quand, le hissant sur la
margelle du puits – lequel, comme j’avais observé, était fort
large –, il l’y jeta. Son exemple fut incontinent suivi, et c’est là
qu’aboutirent tous les corps des malheureux qu’on tua cette nuit-là

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