En Nos Vertes Années
fui la ville. Ne sachant
pas alors le retournement en ma faveur de l’opinion en Montpellier, je pensais
que pour obéir à M me de Joyeuse, je n’y devais point retourner, mais
résider avec M. de Montcalm, où qu’il se trouvât, en attendant que ma
protectrice me voulût bien rappeler.
Je fus dans un triste pensement tout
le temps que dura le premier jour de chevauchée, étant fort troublé que les
nôtres fussent ce coup-ci les massacreurs, tant nous étions accoutumés, depuis
Vassy, à être les victimes des papistes et non point leurs bourreaux. Me
ramentevant à cette occasion la belle parole de Socrate, lequel affirmait à sa
mort qu’« il valait mieux subir l’injustice que la commettre »,
j’étais fort près de lui donner raison, tant me semblaient lourdes à porter en
ma remembrance les meurtreries que j’avais vu commettre. Et cependant, je
voulais leur trouver quelque décharge dans les persécutions qui les avaient
précédées. Hélas, combien j’eusse trouvé ma défense plus forte si j’avais pu
prévoir ce qui se perpétrerait contre les nôtres durant la nuit de la
Saint-Barthélemy, et qui fut le fait non point de quelques petits tyranniseurs
de Nismes, mais du puissant Roi de France en son Louvre.
J’arrête là cette disputation, car
j’y suis juge et partie. Et il me paraît, à me relire, que j’y cherche trop
d’atténuation aux crimes des miens. À la vérité, il n’en est point. Le sang
n’excuse pas le sang.
En cette première journée, nous
fîmes pas moins de six lieues. Il est vrai que le chemin n’était ni pentu, ni
tournoyant, ni malaisé. Au soir, nous atteignîmes Beaucaire, où nous passâmes
la nuit. Mais sur le rapport qu’on nous fit, à l’auberge, que la
montagnette – région de pechs, de combes et de bois – était depuis
peu infestée de caïmans qui tuaient et détroussaient les voyageurs, je résolus
de départir à la pique du jour, dans le désir où j’étais de nous mettre avant
la nuit derrière les murs de Barbentane. Je poussai l’allure tout le jour, et
quelle ne fut pas mon inquiétude, en arrivant au château de Barbentane, de ne
pas y trouver mes hôtes. Le majordome, qu’ils avaient fait prévenir par un
chevaucheur lors de leur fuite précipitée de Nismes, les attendait en vain
depuis la veille, et balançait à aller à leur rencontre, ayant la garde du château,
et les caïmans étant si proches. Il s’appelait Antonio, petit homme noir, sec
et tordu, qui paraissait très attaché à ses maîtres. Après en avoir disputé
avec lui, je résolus incontinent de partir à la recherche des Montcalm, ne
m’allégeant que du cheval de bât que je laissai dans les mains d’Antonio.
Il pouvait être alors vers les deux
heures de l’après-midi et, après avoir reposé et restauré nos montures, buvant
peu et ne les laissant boire qu’à peine un quart de seau, on repartit, mais
sans aller plus vite que le petit trot, tant pour ménager nos montures que pour
jeter l’œil, de-ci, de-là, dans le bois de la Montagnette par où passait le
chemin.
Nous le traversâmes d’un bout à
l’autre sans rencontrer personne. Et avisant, à son orée, une abbaye qui se
donnait la mine d’une petite forteresse tant elle était bien remparée, j’y
galopai et, démontant, je sonnai cloche à l’huis à tour de bras, tant est
qu’enfin le judas s’entrouvrit et un frère, m’envisageant avec méfiance et
froidure, me dit assez roidement que l’abbaye ne recevait point de voyageurs, y
ayant une bonne auberge à Barbentane.
— Mon frère, dis-je, je ne
requiers point de gîte. Je loge au château. C’est M. de Montcalm que je
cherche, car il devrait y être arrivé, et n’y est point.
— Quoi ! cria le frère,
fort troublé. Il n’y est point ? Mais nous l’avons vu hier soir à la
tombée du jour, avec M me de Montcalm et sa fille ! Ils nous ont
demandé du vin, et sont incontinent repartis. Il faut donc qu’ils soient tombés
aux mains des caïmans qui infestent le bois de la Montagnette que vous venez de
traverser. Moussu, espérez-moi un petit. Je vais prévenir le prieur.
Je trouvai d’abord bien fâcheux ce
retardement, et d’autant que le prieur, l’œil noir fort aigu sous d’épais
sourcils, m’ayant introduit sous une petite voûte fermée d’une herse, et mis
sous l’œil de deux moines armés, me posa d’infinies questions. Ventre
Saint-Antoine ! pensai-je. Quels questionneurs que ces prêtres
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