En Nos Vertes Années
ils poussent les autres à la meurtrerie et
au sac. Je résolus donc de mettre un bœuf sur la langue de cet acharné, et
prenant à Miroul un de ses deux pistolets, pour ce que je n’en avais plus qu’un
qui fût chargé, je criai, couvrant sa voix :
— Simon, je te fais céans
défense de nous suivre ! Si tu enfreins mon commandement, ma première
balle trouera ton morion, et ma seconde, ton crâne !
Après quoi, il vociféra encore, mais
sans mettre un pas devant l’autre. Ce que voyant ses séides, ils ne branlèrent
pas davantage, étant tous au surplus extrêmement las après cette sanglante
nuit, et chacun n’appétant plus qu’à sa chacunière, pour y remiser sa picorée,
et y manger un morcel, et à la fin, dormir. Raison pour laquelle les rues que
nous traversâmes avec l’Évêque, pour le mener chez Rochemaure, étaient
étrangement désertes, malgré que le soleil fût haut, les papistes se terrant
toujours derrière leurs murs, et les soldats huguenots, rentrés chez eux, repus
et recrus de leurs tristes exploits.
La porte de Jacques de Rochemaure
était fortement aspée de bandes de fer, mais comportait en sa partie haute un
judas grillagé qui s’entrebâilla un petit quand on eut toqué un moment. M. de
Rochemaure, nous voyant en armes, balança. Ce qu’observant l’Évêque, il
s’avança et lui dit que nous l’avions arraché aux bras des exécuteurs, et il
lui requit de nous admettre. Mais M. de Rochemaure n’y voulut pas consentir,
craignant une ruse et que l’Évêque parlât ainsi de force forcée. Il nous
demanda de nous retirer jusqu’au bout de la rue, lequel était distant d’une
cinquantaine de pas, et de laisser l’Évêque seul, et qu’à cette condition, il lui
ouvrirait. Bernard d’Elbène prit alors congé de nous de la façon la plus
touchante, nous demandant à chacun nos noms, et à chacun rendant merci, et nous
disant qu’il se ramentevrait, matin et soir, de prier pour nous, puisque aussi
bien nous adorions le même Dieu, encore que souvent il n’y parût guère. Nous le
quittâmes, mais parvenus au bout de la rue, nous attendîmes un moment que la
porte s’ouvrît et se refermât sur Bernard d’Elbène, lequel, avant d’entrer dans
ce havre de paix, nous voulut encore saluer de sa main tremblante.
Le massacre de la Michelade cessa
sur ce dépêchement manqué de l’Évêque, comme si les Messieurs (qui s’étaient
gardés de le commander, mais n’eussent pas été fâchés, peut-être, qu’il se fît)
avaient été étrangement frappés que des mutins se fussent, en cette occasion,
contre eux-mêmes mutinés.
Les Messieurs relâchèrent sous forte
caution les prisonniers de la salle basse, qui étaient encore au nombre de
quarante, une soixantaine ou plus ayant péri. Et après une négociation avec le Sénéchal
Honoré de Grille, qui tenait toujours le château, le 2 octobre, ils permirent à
Bernard d’Elbène de quitter la ville sous escorte. L’Évêque se retira à
Tarascon, et là, il légua plusieurs salmées de terre qu’il possédait près de
Nismes, au seul de ses gens qui n’eût pas été occis : Jean Fardeau. Et
comme il ne pouvait écrire, en raison de l’extrême débilité de ses mains, il
dicta une lettre au Vicomte de Joyeuse, où il parlait avec des grands éloges de
la part que j’avais prise à son terrestre salut. Cette lettre, en Montpellier,
fut lue, relue et publiée, et par elle je fus tout soudain en honneur en la
ville autant que j’y avais été abhorré, et toutefois, pour la même raison,
n’ayant pas agi autrement pour l’Évêque que j’avais fait pour Cabassus.
J’opine pour ma part que le plus
insigne et éclatant mérite de l’affaire revint à Coussinal, pour avoir osé,
avec une merveilleuse vaillance, affronter seul une vingtaine d’hommes. Pour
moi, je n’eusse peut-être pas agi si Coussinal ne m’avait donné l’exemple, tout
ému de compassion que je fusse pour ce vieil homme qui montrait tant d’humanité
en ses derniers moments.
*
* *
Nous sortîmes tous trois de Nismes
sans encombre ni traverses, par la Porte des Carmes, et prîmes le chemin dit,
Dieu sait pourquoi, « des cinq vies », qui menait à Beaucaire.
Là, nous envisagions de traverser le
Rhône pour passer à Tarascon, et de Tarascon gagner par la montagnette le
château de Barbentane, où l’alberguière nous avait dit que M. de Montcalm, sa
femme et sa fille, s’étaient retirés quand ils avaient
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