En Nos Vertes Années
nez, sur le
domaine même de Barbentane, où ils s’étaient mis depuis un mois comme des poux
dans la chevelure d’un malpropre, commettant larronneries, meurtreries, et
autres forfaits à force ouverte. Il expliqua qu’une heure plus tôt, un de ces
gueux lui avait crié, au bas du châtelet d’entrée de Barbentane, d’avoir à
apporter mille écus à un bastidou au pied du Mont de la Mère, s’il ne voulait
point qu’au coucher du soleil, on ne vînt lui jeter devant le pont-levis la
tête de M. de Montcalm.
— Et tu as la rançon,
Antonio ? dit le Père Anselme.
— Je l’ai.
— Et tu vas de ce pas la porter
au Mont de la Mère ?
— J’y vais.
— C’est folie ! Ils se
seront mis en embûche. Dès que tu apparaîtras, tu seras occis, tes pécunes
pillées, et tes maîtres, dépêchés. Démonte, Antonio, et rentre avec nous au
sous-bois.
On fit comme il avait dit, et les
montures attachées à de flexibles branches, on s’assit en rond sur des souches
dans une petite clairière que la hache des bûcherons avait faite.
— Il faut embûcher l’embûche,
dit le père Anselme, et sans branler mie, se posa les deux coudes sur les
genoux, et son menton sur ses larges mains. Et en cette posture resta coi et
quiet, et si longtemps qu’à la fin, je lui dis :
— Qu’attendons-nous ?
— Mon fils, dit Anselme sans
bouger de sa posture, quand on chasse, il faut patience garder. Ces vaunéants
ont placé quelque guetteur qui a vu Antonio et les valets saillir du château.
Adonc, ils l’attendent de présent sur le sentier du Mont de la Mère. Qu’ils
l’espèrent un petit. Rien n’emburlucoque davantage une embûche qu’un long
retardement. Nous les surprendrons au coucher du soleil.
Mais pour nous aussi l’attente fut
longuette, encore qu’on s’amusât quelque temps à envisager Miroul lancer le
cotel contre un arbre, batellerie où il excellait, l’ayant apprise d’Espoumel.
Mais Miroul, se fatiguant, se rassit, et personne n’ayant le cœur à jaser, on
s’accoisa, les yeux à terre, tant grande était en chacun la vergogne de ne
point vouloir surprendre l’émeuvement de l’autre. Car il y avait apparence que
le combat serait dur contre ces gueux désespérés, et que plus d’un chez nous y
serait navré, ou sur le terrain laissé mort.
Pour moi, je priai le Seigneur, si
je devais en ce jour devant lui comparaître, de me pardonner mes péchés, dont
ma peccante chair faisait le plus gros, car je ne trouvais pas que je fusse,
autrement, entaché de malice. Cependant, ma prière finie, je ne laissais pas de
me ramentevoir les garces qui avaient eu pour moi tant de bontés, me gardant
cependant d’évoquer la Fontanette, cette navrure étant si fraîche.
Ainsi me recueillais-je en mes plus
aimables remembrances, ces gentilles mignotes ayant été pour moi, comme bien je
m’en rendais compte, le garant de la beauté et bénignité merveilleuse de la
vie, laquelle, privée de leur présence, n’eût été qu’un aride chemin. Encore
que ce recueillement-là puisse paraître bien terrestre au regard à celui des
moines, j’y trouvais une confortante chaleur et m’y ococoulais comme aux tétins
de ma bonne Barberine. Hélas ! Cela ne dura point. Car si fort que j’eusse
voulu écarter le souvenir de ma Fontanette, il me revint tout soudain en
mémoire, et si fort et si vif et si déchirant que je me levai de la souche où je
m’étais assis, et tournant le dos à mes compagnons, j’allai cheminer dans le
sous-bois, les larmes roulant sur ma face.
Au bout d’un moment, j’entendis des
pas derrière moi, et crus d’abord que c’était mon bien-aimé Samson, mais me
retournant, je vis le Père Anselme.
— Mon fils, dit-il d’une voix
grave, vous paraissez fort troublé en votre conscience. Et encore que vous
répugniez, comme ceux de votre Église, à la confession auriculaire, si
néanmoins, sans l’appareil, les prières et l’absoute dont s’accompagne la
confession, vous voulez me dire, dans les dents du proche péril, ce qu’il en
est de votre grand tourment, peut-être de l’avoir départi à une oreille amie,
vous sentirez-vous conforté.
— Ha, Père Anselme, dis-je,
touché que j’étais de son ton, et parlant en toute sincérité de cœur, huguenot
que je suis, je ne suis pas accoutumé à la confession, ni même aux confidences.
Je n’y ai pas appétit. Ma conscience huguenote est comme un cabinet noir où
j’ai serré à double
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