En Nos Vertes Années
pèlerins et de les anéantir.
À cela ni Samson ni Miroul ne
répondirent, attendant la suite.
— Eh bien, repris-je, nous
n’allons pas, quant à nous, attendre d’être écrasés entre deux meules. Au
prochain tournant qui nous dérobera à la vue de ces coquins, nous tournerons
bride. Là, nous attendrons qu’ils soient de nous à une dizaine de toises, et
surgissant tout soudain de la courbure du chemin, nous les chargerons au galop,
les rênes entre les dents et les pistolets au poing…
— Mais, ce ne sont là peut-être
que paisibles laboureurs, dit Samson.
— Monsieur mon frère, dis-je en
sourcillant, vous jasez, je crois ?
— Nenni, dit Samson, devenant
cramoisi. Je me tais, et comme juré, vous obéis.
— Monsieur mon maître, dit
Miroul, tourné vers lui, si ce sont là de paisibles laboureurs, et non pas
d’atroces coquins, je veux bien, moi qui les ai vus, vendre ma part d’éternité
au Diable.
— Miroul, dit Samson avec plus
de tristesse que de sévérité, ne parle pas ainsi, surtout dans les dents de la
mort.
— Ces dents seront pour eux, et
non pour nous ! dis-je d’un ton sans réplique. Et c’est assez parlé, le
temps nous presse. Je galoperai dans le milieu du chemin. Miroul, à ma gauche,
fera feu sur les deux gueux devant lui. Moi, sur les deux au centre. Et toi,
Samson, il te faudra tuer raide le coquin devant toi.
— Je le ferai, dit Samson en
baissant la tête.
Il ne le fit point. Soit hasard,
soit volonté secrète, alors que de nous trois il était le meilleur tireur, sa
balle n’atteignit pas sa cible, et des cinq coupe-jarrets, le sien était le
seul en selle, quand nos montures furent dessus leurs rosses, celles-ci fort
affolées des détonations et des hurlades étranges que nous poussions. Ce
survivant s’enfuit, mais je le poursuivis, et fus assez heureux pour lui donner
de l’épée dans l’épaule et faire tomber sa pique. Il se rendit alors à notre
merci, Miroul le lia sur son cheval, et d’y celui fouettant la croupe et le
poussant devant moi, je revins vers Caudebec, la face en feu et la crête fort redressée.
CHAPITRE III
Avant de rejoindre Caudebec, je fis
mettre au pas ma petite troupe, craignant que si nous arrivions sur lui au
galop et dans un nuage de poussière, le Baron, se méprenant, ne nous tirât
dessus. Et en effet, je trouvai les pèlerins, hommes et garces, fort alarmés de
nos coups de feu, et qui l’arquebuse, qui la pistole au poing, et les mèches
allumées. Quant à Caudebec, il avait la trogne fort rouge et le poil hérissé,
mais ne savait quel parti prendre, étant plus expert au déduit qu’au combat.
Cependant, dès qu’il vit mon
prisonnier, et avant que j’aie pu bouche ouvrir, il ordonna à deux de ses gens
de le jeter à bas de son cheval et de le mettre à la question pour lui faire
dire ce qu’il savait des caïmans des Corbières. Ce fut fait en un battement de
cils, et autour du col du malheureux, agenouillé tout sanglant sur le caillou
du chemin, les soldats du Baron passèrent une corde de chanvre que l’un d’eux
se mit incontinent à tordre autour d’un bâton.
— Monsieur le Baron, dis-je, ce
gueux est mon prisonnier, il perd son sang, il est fort effaré, vos gens
n’entendent pas sa langue, et ils risquent de l’occire avant qu’il ait parlé.
Commandez, je vous prie, qu’on lui ôte ce garrot et qu’on me le rende. Je
l’interrogerai à loisir, mais point en ce moment, où le danger nous presse. À
mon sens, il nous faut au plus vite quitter le chemin et tirer vers cette
colline à senestre, d’où, à défaut de rempart, nous aurons des vues sur qui
voudrait nous assaillir et le bénéfice d’une situation dominante.
Les pèlerins derrière lui
s’énervant, clabaudant, remuant beaucoup, et jetés dans le plus grand désordre,
Caudebec consentit à tout, tant il était irrésolu, et tant aussi il était
persuadé que l’habileté à combattre de mon père était passée dans mon sang,
croyance absurde mais non point rare chez nos gentilshommes.
Ce petit mont que j’avais désigné
étant atteint, mais non sans grandes peines, ses pentes de tous côtés étant
fort abruptes (mais elles le seraient aussi pour l’assaillant), on démonta, on
rassembla les chevaux dans un creux et on disposa, en les cachant, quelques
guetteurs. Tout cela commandé par le Baron, mais inspiré par mes avis. Cette
colline était un lieu bien peu plaisant pour y finir ses jours ou même
Weitere Kostenlose Bücher