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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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des
hurlades répétées de Caudebec :
    — En selle ! En
selle ! criait-il, et d’autant plus impérieux qu’il avait été moins
assuré, dans le péril, de son commandement.
    — Monsieur de Siorac, dit Dame
Gertrude en se tournant vers moi, il me faut, hélas, abandonner mes soins et
quérir ma monture. Me permettez-vous de venir prendre des nouvelles de mon
malade pendant la chevauchée ?
    — Madame, dis-je en la saluant,
je vous verrai en tous temps vous occuper de mon Samson avec le plaisir le plus
vif.
    Je parlais ici en toute sincérité de
cœur, car s’il y avait un point où j’osais trouver de l’imperfection à mon
bien-aimé Samson, c’était l’éloignement où il s’était tenu, avant notre voyage,
de ce gentil et suave sexe sans qui les verts paradis de Dieu ne seraient que
mornes prisons. La thérapie à laquelle il venait de consentir me rassurait tout
à fait. À voir sur lui si puissante la curation de Dame Gertrude, et mon frère,
à son souffle, se réchauffer si vite, je compris qu’il n’avait été, jusque-là,
non point insensible, mais gourd, peut-être en raison de sa bâtardise, qui lui
avait donné contre les femmes quelque rancœur secrète.
    Sans trop ouvertement le regarder,
je l’épiai du coin de l’œil. Il se mit en selle dans un nuage, le teint bien
assez enflammé pour donner de l’apparence à la maladie que je lui prêtais. Et
fiévreux, certes, il l’était, mais de cette fièvre qui ne guérit jamais, sauf
par les neiges des ans. Tout le temps de notre chevauchée jusqu’à Narbonne, je
lui vis aux joues ce beau sang vif. Il se tenait coi, les yeux baissés, l’air
merveilleusement chaste, en tout semblable, avec ses larges épaules, ses
cheveux de cuivre moutonnant sur sa robuste encolure, à un archange de vitrail
dans une église papiste, et d’ailleurs n’était-ce pas à saint Michel que Dame
Gertrude l’avait comparé ? À observer cette candide mine, je pensais qu’à
peine ouvert aux plaisirs des sens, Samson préférait n’en prendre pas une
conscience trop vive pour ne point se trouver en difficulté avec sa conscience
huguenote. Et bien que l’envie me démangeât fort, je me défendis de troubler
l’innocente hypocrisie où je le voyais, et rengainai les petites gausseries
dont j’eusse voulu le picanier.
    Et c’est ainsi que, Samson rêvant,
et moi-même musant sur les surprises du chemin, et Dame Gertrude allant,
venant, et inquiète de son malade, mais aussi de sa réputation (sur laquelle on
jasait déjà), nous atteignîmes paisiblement Lézignan, la nuit tombée de
longtemps, nos chevaux, pour une fois, fourbus. Et à l’auberge de la Licorne, où nous nous retirâmes, le Baron de Caudebec, gonflé comme un pois
chiche qui a trempé huit jours, emplit l’oreille de l’hôtesse de récits épiques
sur la défaite des caïmans. J’y figurais à peine, à ce que j’ouïs.
     
    *
    * *
     
    L’alberguière de la Licorne (et je ne sais pourquoi les femmes de cet état sont si souvent veuves, sinon
peut-être que tant d’hommes leur passant par les mains, elles prennent moins
soin du leur) m’assura le lendemain, en réponse aux questions dont je la
pressais, que le chemin de Lézignan était des plus sûrs, qu’il y avait grand
mouvement sur lui de charrois et de marchands, lesquels, s’en allant qui à
Lyon, qui à Marseille, cheminaient ensemble jusqu’à Montpellier, tous bien
armés et résolus, tant est qu’il y avait deux ans ou plus qu’on n’avait pas ouï
dire qu’un de ces convois eût été attaqué. Elle ajouta en riant (car je la
serrais d’un peu près, les mains sur ses rondes hanches) qu’elle m’eût, certes,
gardé davantage en son auberge tant mes manières étaient aimables, mais qu’elle
comprenait mon impatience à demeurer plus outre avec des pèlerins du Nord, qui
chevauchaient si lentement, s’escambillant de longs jours dans les gîtes qui,
comme le sien, offraient bonnes viandes, bon vin, et les autres commodités qui
délassent le voyageur ; que si, enfin, je voulais qu’elle me présentât à
des marchands de sa connaissance qui prenaient route le lendemain, elle le
ferait volontiers, d’une pierre faisant deux coups, et à eux rendant service
tout autant qu’à moi. Car elle savait par mon valet Miroul quels vaillants
gentilshommes nous étions, ayant occis ces caïmans. J’acceptai son offre avec
mille mercis. J’y mêlai les cajoleries où me portait mon âge.

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