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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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planté d’oliviers où le
bourreau de la cité exerce son office ; que nous passerons ensuite une
forte palissade de bois qui protège les faubourgs ; et, ceux-ci traversés,
que nous atteindrons enfin la commune clôture.
    — La commune clôture ?
    — C’est ainsi que les
Montpelliérains appellent la muraille qui ceinture la ville.
    — C’est un nom fort joli.
Miroul, c’est merveille ! Que de vers tu tires, et de combien de
nez ! Samson, as-tu ouï ce discours de Miroul ?
    Hélas, mon bien-aimé frère n’avait
d’oreilles ni pour ce discours ni pour ma question. Il chevauchait, les yeux
sur les oreilles de son Albière, les rênes lâches, la couleur allant et venant
sur sa face, tantôt pâle et tantôt cramoisie, se mordant parfois la lèvre et
sourcillant, et parfois poussant des soupirs. À peine savait-il, je gage, qu’il
était sur son cheval, et sur quel chemin il trottait. Lui jetant quelques
regards de côté, je pouvais voir se succéder sur son visage si ouvert les
remembrances, les rêves, les repentailles, tant le pauvret était tiraillé à hue
et à dia dans son esprit, et les yeux tantôt très atendrézis, et tantôt très
effrayés, comme si l’Enfer eût soudain bâillé sous les sabots de sa jument.
    Combien que j’en eusse vu plus d’un
sur le chemin, je n’eus pas à me demander quel était le champ d’oliviers où le
bourreau de Montpellier faisait passer de vie à trépas tant de pauvres hères,
car de loin bien visible, un gibet s’y dressait, fort droit parmi ces arbres si
joliment tordus, et fort sinistre parmi ces feuillages si légers et si clairs,
où l’on devinait, prenant forme déjà, les olives qu’on récolterait en
septembre.
    Hors le fer et l’arquebuse, occire
un homme n’est pas une affaire à fatiguer l’imaginative. La plus simple machine
y suffit : trois bouts de bois en équerre, le plus grand fiché en terre,
le plus petit soutenant une corde, et au bout d’y celle voilà notre pendu qui
danse, tandis que son juge se remplit le ventre en attendant de passer lui-même
devant notre juge à tous, et d’aller pourrir dans la terre, au lieu de folâtrer
dans les airs : chétive différence, et ne justifiant point tant d’honneurs
à l’un ni tant de disgrâce à l’autre.
    Ce gibet-là, Dieu merci, ne portait
personne, mais je me rassurais trop vite, car mon Accla bronchant sous moi, je
repris les rênes et l’arrêtai, ma narine tout incommodée d’une fade, douceâtre
et insupportable odeur que je connaissais bien. Levant les yeux, et tout
soudain béant de cet étrange spectacle, j’aperçus, suspendus au plus gros des
oliviers, les morceaux d’un corps de femme, la tête attachée par ses propres
cheveux à une branche, et sur d’autres, liés par des torons de chanvre, les
jambes, les bras, le torse. À en juger par celui-ci, que le bourreau avait,
pour plus de honte, dénudé, il s’agissait d’une jeune garce, et combien que la
mort remontât à huit jours au moins, il n’était pas tant mangé des oiseaux
qu’on ne vît, bien formés encore, les tétins et le ventre. La pauvre drolette,
dont le tendre corps était ainsi donné en pâture à la vile curiosité des hommes
et aux becs des corbeaux, avait été pendue, puis morte, dépendue, sa chemise
ôtée, et le bourreau, de sa grande épée la découpant en quartiers comme le
mazelier fait d’un animal de bouche, les avait exposés pour l’exemple sur ce
bel arbre à qui leur sinistre présence ne pesait pas plus qu’un oiseau mort.
    Mon Samson, tout soudain réveillé,
regarda, la face fort triste, ces débris pourrissants, et à leur vue, Miroul
perdit couleurs et bonne humeur, se ramentevant peut-être qu’il avait de peu
échappé au gibet de Mespech. J’avisai un laboureur qui, maniant une mauvaise
faux d’un bras lent et sans force, défaisait des orties sur le bord de ce champ
sans jamais lever les yeux vers ces fragments humains, tant, je gage, leur
présence lui était odieuse.
    — Compagnon, dis-je, est-ce là
ton champ ?
    — Nenni, dit l’homme, qui était
si long et si maigre qu’à peine il paraissait plus épais que sa faux, laquelle,
ma question posée, il releva pour s’appuyer sur elle. Je ne possède rien sur
cette belle terre du Languedoc que ma bouche pour manger et mes bras pour la
nourrir. Ce champ est à mon maître, et selon moi, c’est grande pitié qu’il
l’ait loué aux consuls de Montpellier pour y mettre un gibet, combien

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