En Nos Vertes Années
appelée, je gage, parce que c’était la voie qu’empruntaient
les charrois de sel pour entrer dans la ville.
Il fallut présenter patte blanche au
guichet, j’entends montrer les sauf-conduits que le Sénéchal de Sarlat nous
avait délivrés, dire ce que nous allions faire en Montpellier et chez qui nous
comptions loger. Mes réponses ayant satisfait le capitaine des archers, il nous
dit avec gravité :
— Messieurs les écoliers, vous
devrez vous rementevoir que le port de l’épée et de la dague est interdit à
l’intérieur de vos collèges royaux et dans les rues circonvoisines. En outre,
les querelles, les injures, les coups et, a fortiori, les duels, sont rigoureusement
proscrits par ordre du Lieutenant-criminel entre les écoliers, lesquels peuvent
être, comme tout un chacun ici, pendus pour crime capital, ou s’ils sont, comme
vous, gentilshommes, décapités, mais dans l’un ou l’autre cas, démembrés par le
bourreau.
— Monsieur, dis-je, nous sommes
gens studieux, et non point sanguinaires, combien que nous soyons armés en
guerre contre les périls du chemin.
— Et point ne vous en blâme en
ces temps troublés. Mais en Montpellier tout est pour l’instant fort paisible,
les catholiques, comme ceux de la Religion, faisant figure de s’accommoder.
Il sourcilla là-dessus comme si cet
accommodement ne lui plaisait guère, et nous assenant tout soudain un regard
aigu, il demanda :
— Et vous, Messieurs les
écoliers, de quel parti êtes-vous ?
Je fus fort étonné de cette question
abrupte, et balançai à répondre. Mais à mieux regarder le capitaine des archers
et à observer la gravité de sa face et la roideur de sa tournure, je me dis que
je connaissais bien ce style d’homme et que je hasarderais peu à dire la
vérité.
— Monsieur, dis-je, nous sommes
tous deux, et mon valet aussi, de la religion réformée.
— Je le pensais aussi, dit le
chef des archers en s’adoucissant au point de nous bailler un sourire et de
nous souhaiter la bienvenue dans sa ville, ce qu’il n’avait point fait
jusque-là. Messieurs les écoliers, reprit-il, avez-vous eu maille à partir, en
chemin, avec les caïmans des Corbières ?
— Oui-da ! Nous en avons
occis quatre à quelques lieues de Lézignan.
— N’en dites pas davantage. Monsieur
de Joyeuse, sur mon rapport, vous mandera demain pour lui faire ce récit.
Il nous salua avec une gravité qui
n’excluait pas une chaleur cachée, et le guichet refermé, ordonna qu’on ouvrît
grandes les portes à notre équipage. Et c’est ainsi que ma petite troupe
pénétra en Montpellier le vingt-deuxième jour du mois de juin de l’année 1566.
Bien qu’assurément moins ancienne
que Sarlat, puisqu’elle n’a que cinq siècles d’existence, Montpellier est une
ville beaucoup plus grosse, et encore que ses rues soient étroites et
tournoyantes, je la trouvai fort belle, pour ce que ses maisons, au moins les
hôtels de la noblesse et de la bourgeoisie, sont construites en pierre de
taille, sans addition de bois en aucune partie visible.
Notre chemin nous fit passer par la
place de la Canourque, la plus belle (comme je sus plus tard) de toutes celles
qui sont à Montpellier, et celle où la jeunesse des deux sexes, le soir, aime à
se promener en rond, les unes et les autres se croisant et se jetant, au
passage, qui des œillades, qui de galants propos. Je fus fort étonné, tandis
que nous pénétrions au pas sur cette place, d’y voir nombre de beaux cavaliers
s’avancer en cortège, précédés par des musiciens jouant du luth et de la viole.
Ces jeunes gens, qui avaient un air de noblesse, et l’aisance que donne ce
rang, étaient revêtus, par-dessus leurs chausses et pourpoints, de longues
chemises d’un blanc immaculé qui leur tombaient jusqu’aux pieds. Et ce qui
m’amusa fort et me parut très curieux, ils tenaient dans la main gauche des
coquilles d’argent, et de la main droite des cuillers de même métal dont ils
choquaient le fond de ces coquilles en tâchant d’épouser le rythme des
musiciens : ce qui rendait un son fort agréable, mais non point continu,
car dès qu’ils apercevaient, sur cette place de la Canourque, une jolie
demoiselle – et il y en avait là une quantité merveilleuse et comme
oncques n’en vis autant, ni de plus belles en aucune autre ville de
France –, ils tiraient vivement vers elle, et l’entourant, chacun lui
offrait dans le creux de la cuiller quelques-unes
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