En Nos Vertes Années
L’alberguière les
repoussa sans rudesse, et, me baillant une profonde révérence, elle me fit de
ses jolies dents pointues un sourire si gracieux, et penchant le col, me
regarda d’un air si entendu que je pris feu tout soudain. Ha ! pensai-je
en la regardant s’éloigner, pour peu qu’on sorte de son trou et qu’on voyage,
que le monde est vaste et riant, et d’une variété infinie !
Tant j’étais joyeux, et de quitter
Caudebec, et déjà dans le pensement d’une nuit qui ne serait pas désoccupée,
j’avais les pieds fort bondissants et le cœur dilaté en allant dans notre
chambre annoncer la nouvelle de notre département à Samson, pensant qu’il
serait lui aussi fort aise de couper court à ces interminables étapes qui
asséchaient nos pécunes, et gageant qu’il serait comme moi fort heureux de
laisser derrière nous ces pèlerins du Nord, et de cheminer à brides avalées
avec des gens de nos provinces. Mais mon bel ange, oubliant qu’il avait le
ménage de notre bourse, ne se réjouit que du bout des lèvres, à peine ouvrit la
bouche, et détournant la tête, prit un air languissant que je compris fort bien
et qui me donna du remords en même temps que l’idée de remédier incontinent au
chagrin où je le voyais.
Emmenant Miroul avec moi et lui
commandant de se divertir avec les autres valets sans retourner de longtemps à
notre chambre, j’allai trouver Dame Gertrude du Luc en la sienne et la tirai à
part, car il y avait là deux autres dames qui pointaient l’oreille en me
dévisageant. Je lui dis, la voix basse et grave, de me jurer par sa sainte
patronymique de ne révéler à personne ce que j’allais lui dire. Haletante, elle
consentit. Je lui dis alors que nous allions demain à l’aube départir sans
prendre congé du Baron, de peur que, fort aigri de colère de perdre son
truchement, il n’allât jusqu’à user de la force pour nous retenir, ce qui
assurément nous amènerait, Samson et moi, à tirer l’épée. À ouïr cela, Dame
Gertrude tourna le dos aux épieuses et pâlit excessivement. Puis elle me
souffla de quitter la chambre et de l’attendre sur les marches qui menaient à
la grande salle. Ce que je fis. L’endroit était fort sombre et me ramentevait
l’escalier à vis des Deux-Anges où l’alberguière et moi avions chu.
Au bout de quelques minutes qui me
parurent fort longues, j’entendis le bruit des mules de la dame sur le plancher
du couloir.
— Monsieur de Siorac ?
— Je suis là.
— Ha Monsieur !
gémit-elle, le parpal haletant – ce que je ne vis point, mais sentis fort
bien, en revanche, car en son subit pâtiment elle m’accola avec autant de force
que si j’avais été mon frère, et combien qu’elle n’y mît pas malice, et moi pas
davantage, cela ne laissa pas de me faire de l’effet, tant il est malaisé
d’avoir une étreinte tout à fait chaste avec une personne du sexe.
— Ha Monsieur !
poursuivit-elle d’une voix étranglée en mouillant mes joues de ses larmes.
Quelle fâcheuse nouvelle ! Et que je suis marrie ! Il part ! Il
part demain !
— Nous quittons avant l’aube.
— Mais, Monsieur, combien
brutal et soudain ce département ! Ne peut-on y surseoir ?
— Hélas, non, Madame !
Notre bourse d’écoliers ne nous permet pas tant d’auberges.
— Mais ne pourrais-je prêter ce
qui vous fault ? N’ayez point vergogne à accepter, Monsieur. Dieu merci,
je ne suis pas sans bien.
— Fi donc, Madame !
Emprunter ! Là où il n’y a pas besoin !
— Je vous demande mille
pardons, Monsieur de Siorac ! dit-elle en m’accolant davantage, ses mains
se crispant sur mon dos. Je suis hors de mes sens, je gage, tant j’ai de peine
à perdre mon petit malade. Mais comment prend-il la chose ?
— Fort mal, mais sans dire mot.
— Je reconnais là sa
vaillance ! dit-elle avec tant de bonheur dans la voix que j’en fus fort ému
et presque envieux de mon Samson pour avoir suscité tant d’amour.
— Madame, dis-je, nous logerons
à Montpellier chez le maître Pierre Sanche, apothicaire, Place des Cévenols, et
nous comptons bien qu’à votre passage en cette ville, allant à Rome et revenant
de Rome, vous nous ferez l’amitié de nous visiter.
— Ha certes ! Certes,
Monsieur de Siorac ! Mais peux-je voir ce jour d’hui votre frère et lui
continuer mes soins ?
— Madame, j’allais vous en
prier. Mon valet Miroul et moi-même avons affaire ailleurs, nous serons
Weitere Kostenlose Bücher