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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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des dragées dont leurs
coquilles étaient pleines. C’était un fort plaisant spectacle de voir la rieuse
confusion où ces offres plongeaient les drolettes, les gracieuses mines
qu’elles faisaient, et les vergognes, et les refus, et en retour, tous les
compliments que les cavaliers leur baillaient, jusqu’à ce qu’enfin elles se
décidassent à prendre une des cuillers qu’on leur tendait : choix qui
n’était pas sans signification ni conséquence, me sembla-t-il, et qui tenait
plus au cavalier qui tendait les dragées qu’aux dragées mêmes. Cependant, dès
que la drolette avait versé dans le creux de sa petite main le contenu de la
cuiller, le jeu voulait qu’on la quittât (non sans peut-être quelque
rendez-vous murmuré à voix basse), et qu’on courût vers une autre, et celle-ci
étant sucrée à son tour, à une autre encore, et ainsi de suite, les cavaliers
blancs voletant en essaim de fleur en fleur tout autour de la place de la
Canourque, précédés ou suivis de leurs musiciens.
    Cette scène qui, pour le moment du
moins, effaça de mon esprit l’odieux spectacle du champ des oliviers, se
déroulait dans la lumière dorée d’une soirée de juin. Mon Accla immobile et
chaude entre mes jambes, je m’emplissais les yeux avec ravissement de ce joli
branle, et par-dessus tout, de celles qui en étaient le centre. Les mains
quelque peu crispées sur le pommeau de ma selle, dressé pour mieux voir sur mes
étriers, et tordant le cou à dextre et à senestre pour ne rien perdre,
j’observais, la narine palpitante et le cœur dilaté, folâtrant, riant, battant
du cil et si joyeuses de vivre dans la douceur de l’heure, ces créatures de
Dieu dont le nombre et la grâce, me comblant, dépassaient en même temps ma
capacité d’aimer. Car si transporté que je fusse, il ne m’échappait pas que
l’infinité du choix en cette belle ville me le rendait fort difficile, et qu’en
fait l’excès même de sa richesse en beautés si diverses ne laissait pas de
m’appauvrir. Car prendre sur l’instant une de ces drolettes dans mes bras (à supposer
qu’elle y eût consenti) ne pouvait, pensai-je, que me faire tort à moi-même,
puisque cet embrassement eût exclu toutes les autres. Au rebours de ce cruel
tyran qui souhaitait qu’hommes et garces n’eussent qu’un seul col afin qu’il
pût, en le coupant, faire tomber les têtes de l’humanité entière, j’aurais,
moi, désiré que toutes les filles de Montpellier n’eussent qu’une seule bouche
afin de pouvoir, en une seule fois, les baiser toutes.
    J’en étais là de ce délicieux
pensamor quand Samson, tout soudain, me dit :
    — Mon frère, pourquoi tant
demeurer ? Je ne vois sous mon nez que niaiseries frivoles et coupable
dissipation. Que faisons-nous céans ?
    À quoi, quelque peu piqué, je
répondis, mi-figue mi-raisin :
    — Ce que nous faisons
céans ? Je vais vous le dire : Oublieux de nos poutres, nous
regardons avec complaisance les pailles dans les yeux des autres.
    Mon pauvre Samson devint cramoisi à
cette petite rebuffade qu’à peine lancée, je regrettai, ne désirant point
ajouter de brindille aux fagots qui le consumaient.
    Il fallut chevaucher quelque temps
encore et traverser le quartier de la Juiverie, mais nous n’y vîmes pas un
chat, l’heure étant si tardive, avant d’atteindre la rue de la Canebasserie.
Entre ladite rue et la rue de la Barrelerie s’étendait la place des Cévenols,
ainsi nommée parce que le dimanche les laboureurs désoccupés des Cévennes
viennent y louer la force de leurs bras. Fort visible de loin, et fort vaste et
fort belle, j’aperçus l’officine au nom de Maître Sanche et à mon grand
étonnement, car je ne lui eusse pas supposé tant de simplicité de mœurs, je
découvris le grand apothicaire benoîtement assis devant sa porte et prenant le
frais du soir avec sa famille, et fort bien je le reconnus à la description que
mon père m’en avait faite. Je démontai, jetai mes rênes à Miroul, et me
découvrant, je lui fis un profond salut et lui dis en latin (car je savais
qu’il aimait, surtout en public, s’exprimer dans la langue des doctes) :
    — Magister illustrissime, sum
Petrus Sioracus, filius tui amici, et hic est frater meus, Samsonus Sioracus [5] .
    Je n’eus pas plus tôt dit que,
bondissant sur ses pieds avec une pétulance qu’on n’eût pas attendue de son
âge, le Maître apothicaire, courant à moi, me donna une forte brassée, et

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