En Nos Vertes Années
que les
olives soient cependant fort bonnes, y compris celles de l’arbre que vous voyez
(ceci dit sans du tout le regarder). Mais cela ne me plaît point de travailler
dans cette puanteur que le vent apporte parfois jusque dans ma maison.
— L’ami, qui était cette pauvre
garce, le sais-tu ? Et quel crime fut le sien pour mériter ce
supplice ?
— J’ignore son nom, mais
d’après les archers qui l’amenèrent céans, elle avait étouffé son enfantelet
pour ce qu’elle n’avait plus de lait à lui bailler, le vaunéant qui le lui
avait fait l’ayant laissée sans un sol vaillant.
— C’est lui qu’on eût dû
pendre, dit Miroul entre ses dents.
— Je ne sais, dit l’homme, je
ne suis pas savant assez pour juger. Mais bien je sais que si ce vaunéant avait
été Comte ou Baron, l’enfantelet serait devenu un glorieux bâtard, et ni lui ni
sa mère n’auraient manqué de viandes.
À ces mots de « glorieux
bâtard », Samson, sans dire mot, détourna la tête, et les larmes lui
coulèrent des yeux. Il avait trois ans quand sa mère, Jéhanne Masure, mourut de
la peste à Taniès, et je doute qu’il pût se rappeler le visage de la
pastourelle, mais du moins savait-il qu’il en était le fils, ma mère, de son
vivant, n’ayant jamais daigné lui parler, ni jeter les yeux sur lui, ni même le
nommer.
— Mais pourquoi l’a-t-on mise
en quartiers ? dis-je enfin, attristé tout à la fois des pleurs de Samson
et du spectacle de ces membres dispersés. La pendre ne suffisait pas ?
— Ha ! dit l’homme. C’est
du même au pareil, une fois mort, d’être découpé comme bœuf à l’étal, ou de
rester entier. En ce pays de Montpellier, c’est la coutume de mettre en pièces
les pendus.
— Que de cruauté la coutume
excuse ! dis-je en me tournant vers Miroul, car je voulais feindre de ne
pas apercevoir les pleurs de Samson. Quand un homme a cessé d’être vif, à qui
appartient sa dépouille, sinon à Dieu, qui la ressuscitera à sa volonté le jour
du jugement dernier ?
— Ce jour n’est pas pour
demain, dit le laboureur avec un profond soupir et, en l’attendant, nous sommes
céans à peiner et à pâtir sans un moment de joie. À menus gens, menue monnaie.
Et combien que le soleil soit beau en Languedoc, nous ne pouvons le manger.
— Compagnon, dis-je, tu es fort
maigre. As-tu nourriture à ta suffisance ?
— Ma suffisance ! dit le
laboureur avec un aigre petit rire. J’ignore ce que ce mot veut dire. Il y a
grande misère, Moussu, sur les branches de cet olivier, et grande misère d’une
autre sorte sur cette terre où j’ai les pieds, et je ne sais quelle est la
pire.
— Miroul, dis-je, baille à ce
laboureur une de nos galettes.
— Moussu, dit l’homme d’un air
fier en se redressant, je n’ai de ma vie quémandé.
— Allons, compain !
dis-je. Ne boude pas ton ventre. Ce n’est point là charité de prêtre, mais
présent d’un ami.
Miroul, fouillant dans ses fontes,
lui tendit une galette de froment que l’homme, la narine palpitante, saisit
avec avidité de ses doigts maigres, mais sans un merci ni un regard, comme s’il
avait grande honte de recevoir une nourriture qu’il n’avait point gagnée.
— Piquons ! dis-je, le
nœud de la gorge me serrant, et sachant bien que je n’avais rien fait, par ce
don, que mettre un peu de baume sur ma conscience et sans porter remède à rien.
Nous fîmes un temps de galop, que
nous ne soutînmes pas longtemps. Le chemin devenant malaisé et montant, et nos
chevaux soufflant, je les fis mettre au pas. En même temps je tâchai de chasser
de mon esprit l’image qui me hantait de ce pauvre corps féminin démembré pour
l’exemple. Mais l’exemple de quoi ? De la barbarie dont il était la
victime ? Et n’était-ce point, à y songer plus outre, grande pitié et
coïncidence amère qu’on eût choisi pour ces exécutions un champ où croissaient
des arbres si beaux, sans se ramentevoir que c’était aussi sous des oliviers
que Christ avait passé dans la prière la nuit qui précéda son supplice.
*
* *
La commune clôture – et je ne sais pourquoi cette expression plaît tant à mon ouïe et à mon
cœur, mais tout le temps que je vécus en Montpellier je me régalais de la
répéter – est une bonne muraille d’enceinte, mais non point tant forte et défendue
que celle de Carcassonne. Venant de Narbonne, on y pénètre par la porte de la
Saulnerie, ainsi
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