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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aller quémander à la grosse Maligou,
en sa souillarde, oignon, quignon de pain, bol de lait, poignée de noix qui,
d’ordre d’en haut, ne lui étaient jamais refusés. Foin des ruineuses
économies ! disait mon père, ne lésinons pas sur la panse. Ventre creux
n’a pas goût au travail. Même un cheval renâcle à tirer l’araire, quand il n’a
pas eu ses avoines.
    En ce premier souper chez Maître
Sanche, affamés que nous étions par notre longue route, on servit en tout et
pour tout une salade et un rôt tout petit, dont chacun des convives eut une
tranche mince, et une seule ; de dessert, aucun ; de beurre, pas la
moindre trace, ni sur la table, ni sur le rôt, toute la cuisine se faisant à
l’huile ; une piquette assez aigre, ingénieusement servie pour qu’on en
bût peu, la Fontanette circulant autour de la table avec deux pichets, l’un
d’eau – qu’elle vous baillait d’abord –, l’autre de vin, qui achevait
le remplissage. Fort heureusement, le pain de froment était bon, et point
limité, et j’en mangeai beaucoup, rattrapant comme je pus le creux que je
sentais encore. Ha, Fontanette ! me pensai-je tandis qu’elle servait, tu
es, certes, jolie à croquer, mais comme disaient nos gens à Mespech, la beauté
se lèche, elle ne se mange pas. Mon Samson, quant à lui, ne sait même pas où il
est, ni ce qu’on lui dit, ni ce qu’il avale. Il dîne de ses rêves. Mais moi,
hélas, à chaque minute je me ramentevois la Licorne de Lézignan, les Deux-Anges de Thoulouse, le Lion d’Or de Castelnau d’Ary et les gâteaux de la patota, ceux-là mêmes pour qui, assis ce soir à la chiche table de Maître
Sanche, la salive me vient en bouche. Et de nouveau je pensais à Mespech, à la
périgordine cuisine de la Maligou, tant savoureuse, mœlleuse, friande et
mijotée. Car si sotte que fût cette coquefredouille, clabaudante, idolâtre,
superstitieuse et, qui plus est, paillarde, elle cuisait son rôt à
merveille : raison pour laquelle mon père lui avait toujours tout
pardonné, y compris de s’être frotté le lard avec le curé de Marcuays, et sous notre
propre toit ! dans notre repaire huguenot !
    Ajoutait encore à ma détresse,
tandis que je mâchais les maigres morceaux de cette triste chère, que l’épouse
de notre hôte accouchait dans cette même salle où nous étions, séparée de nous
par un simple rideau de cotonnade ; les plaintes, les cris et les
gémissements de la parturiente hachant, en fait, notre repas, mêlés aux
encouragements bruyants des deux commères qui l’assistaient. Maître Sanche n’en
paraissait pas autrement troublé, mais haussant le ton en son latin pour se
faire entendre, il dissertait à loisir sur un nouveau remède qu’il avait
composé et qu’il disait être curation sûre et certaine contre les flux de
ventre. Toutefois, au bout d’un moment, oyant s’élever une hurlade plus forte
que les autres, il tourna la tête du côté du rideau, et dit en oc :
    — Ma pauvre Rachel a peine, ce
me semble, à me faire ce fils. Balsa, va me chercher de l’aigremoine dans mon
officine.
    Balsa, la bouche pleine, y courut,
et revint avec un pot qu’il tendit à son maître, lequel, appelant une des
accoucheuses, lui dit sur un ton de grave autorité :
    — Ma commère, frictionnez, je
vous prie, les cuisses de la parturiente sur la face interne avec cet onguent
que voilà, et récitez, ce faisant, l’oraison dominicale. La délivrance de mon
épouse en sera grandement facilitée.
    Après avoir fait une profonde
révérence et s’être signée trois fois, la commère saisit le pot avec beaucoup
de respect, et se retira incontinent derrière le rideau pour faire comme on lui
avait dit.
    — Maître Sanche, dis-je, je
savais que l’aigremoine était souveraine pour la curation de l’ulcère de la
cornée, mais j’ignorais qu’on pût l’employer aussi avec profit dans un
accouchement.
    — Si fait ! dit Maître
Sanche. J’ai là-dessus grande et digne autorité, car l’usance de l’aigremoine
est in situ [7] expressément recommandée par Bernard de Gordon, dans son savant Lilium
Medicinae, et j’en ai fait l’épreuve à maintes reprises, non sans succès,
dans les parturitions de mes défuntes épouses.
    Fogacer, à côté de moi, riant alors
à gueule bec, Maître Sanche, quelque peu piqué, s’écria :
    — Medice, visne castigare
ridendo medicinam meam [8]  ?
    — Non decet, magister
illustrissime, dit Fogacer, ses

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