En Nos Vertes Années
nu !
— Je vois Moussu Luc nu comme
ver tous les jours, et vous êtes tant mieux fait, mieux membré et plus fort…
Elle poursuivit dans ce ton tout le
temps que je me vêtis. C’est son innocence, je gage, qui la faisait babiller
ainsi, et encore que je ne laissasse pas d’être embarrassé, ne voulant pas
cependant la chasser, je souffris sa présence, fort troublé qu’elle béât ainsi
devant moi et me baillât tant de louanges, toutes candides qu’elles
fussent : car assurément la pauvrette, en sa naïveté, n’y voyait pas
malice, et disait tout de gob sa pensée, comme une oiselette l’eût dit à son
oiseau si elle eût pu parler.
Je trouvai le bachelier Fogacer en
train de gloutir sa soupe. Elle n’était, hélas, que de légumes, sans un morceau
de chair, mais j’avais tant faim depuis la veille que je m’y mis aussi. De Luc,
de la belle Typhème, de Balsa, du maître apothicaire je ne vis point de trace,
et Fogacer, s’étant dûment rempli, me dit :
— Siorac, point de cérémonies,
je vous prie, entre nous. Ne me baillez point du bachelier et je ne vous
baillerai pas du monsieur. Finissez votre brouet et je vous emmènerai sur le
toit – nous y serons plus à l’aise pour parler.
Peu j’imaginais que ce toit –
auquel on accédait par un escalier à vis – était en fait une large et
belle terrasse d’où la vue s’étendait par-dessus un étagement de terrasses
semblables sur toute la ville de Montpellier. Plus loin, je découvris, tranchant
d’un bleu plus foncé sur le bleu azuréen de l’horizon, et scintillant de mille
feux sous le radieux soleil, la mer Méditerrane. Moi qui de ma jeune vie
n’avais vu pareille étendue d’eau que sur une mappemonde, je restai béant
devant ce spectacle.
— Ha Fogacer !
m’écriai-je, fort ému, ne doit-on remercier le Seigneur d’avoir créé cette
merveille que voilà entre autres grandes et excellentes beautés qu’il bailla à
la Terre ?
— Je le veux bien, dit Fogacer
en levant ses sourcils diaboliques, mais alors il ne faut pas s’arrêter si
court, il faut le remercier aussi des tempêtes, des ouragans, des pluies
diluviennes, des sécheresses, de la foudre, des volcans, des tremblements de
terre ; lui sentir gré aussi, dans le règne végétal, de la ciguë, de la
belladone, de l’aconit, de la jusquiane et autres innumérables plantes dont on
prépare les poisons, et, dans le règne animal, de l’ours, du loup, du sanglier,
du renard, des fauves de l’Afrique ; sans compter la vipère, l’aspic, la
tarentule, le scorpion et cette milliasse de bestioles, vers et champignons qui
gâtent les plantes les plus utiles. Est-ce tout ? Ha ! Que non
pas ! Il faudrait aussi tenir comme grandes gratifications que le Seigneur
ait baillé à l’homme la coqueluche, les oreillons, la variole, l’hydropisie,
les fièvres des marais, la lèpre, la phtisie et ces joyaux de notre humaine
condition : le mal de Naples et la peste.
J’envisageai Fogacer, fort étonné de
ce discours quelque peu sacrilège et du ton de grave gausserie dont il l’avait
prononcé.
— Assurément, dis-je au bout
d’un moment, assurément, le mal existe. Mais Dieu ne faisant rien qui ne soit
droit et bon, il faut bien que le mal lui-même fasse partie d’un plan.
— Un plan ? dit Fogacer en
levant son sourcil davantage. Un plan ? Certes, un plan ? Mais
lequel ?
— C’est ce que nous ne pouvons
savoir, dis-je, les voies du Seigneur étant impénétrables.
— Ha ! s’écria Fogacer en
riant, que voilà une bonne et orthodoxe réplique, et bien propre, comme dit
votre Calvin, à contenter de sobres et dociles gens. Observez, cependant, non
point la réplique elle-même, mais la fruste manière dont vous l’avez
amenée : sans raisons bien déduites, sans argument lié, sans art aucun,
clouant ex abrupto la disputation par ce rideau opaque de l’humaine
ignorance. Par ma robe de bachelier, il faut bien plus de mots pour dire qu’on
ne sait rien ! En bonne règle, il eût fallu disputer bien plus outre,
articuler votre dire en syllogismes, arriver à conclure par la rigueur de la
logique, vous couvrir de l’autorité des Anciens, redonder en belles
citations ! Tudieu, ce n’est pas discourir doctement que de jaser si
court !
Je rougis de me voir ainsi
accommodé, et voyant ma face cramoisie, Fogacer se prit à rire de plus belle et
me tournant le dos, il assit ou plutôt il vautra son grand corps maigre
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