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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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noir
et plat était fort dégarni sur le haut du crâne, par où il paraissait plus
vieux que son âge (qui ne passait pas vingt ans à ce que j’appris plus tard).
L’œil, sous le sourcil diabolique, était noisette, perçant, excessivement
brillant, et le nez, comme j’ai dit, se courbait en bec d’aigle, mince, long,
avec une arête osseuse quasi coupante. L’ensemble eût été sévère sans une
grande bouche aux lèvres fort charnues et fort rouges qui se tordait, à
l’occasion, dans un sourire sinueux, en particulier quand il se répandait en
paradoxes, gausseries, paillardises et impiétés voilées, ce qui ne lui arrivait
qu’en privé, hors des oreilles notables et chatouilleuses, car en public, il
surveillait ses paroles comme berger ses brebis, cachant les galeuses et les
embrennées, et ne montrant que les plus blanches.
    — Ainsi, Monsieur, dit-il enfin
avec un air de feinte gravité, vous courez le cotillon.
    — Monsieur, dis-je dans le même
ton, je le cours.
    — Et si vite que court le
cotillon, je ne doute pas que vous le rattrapiez. Car vous avez le cheveu
blond, l’œil bleu, le teint frais, la taille fine, et la tournure vigoureuse.
    — Je ne suis pourtant point
tant joli que mon frère.
    — C’est vrai, mais c’est un
frère muet, et vous, vous jouez fort bien du plat de la langue. Et enfin, il y
a en vous quelque chose de vif, de gaillard et d’expéditif qui doit plaire aux
drolettes.
    — Monsieur, dis-je, je ne me
plains pas.
    Fogacer, ici, fit une pause, et
quittant son badinage, dit avec gravité :
    — Siorac, ceci est un avis, et
je vous prie d’y prendre garde. Il y a en cette maison deux bachelettes de
conditions différentes mais auxquelles, pour des raisons différentes, vous ne
devez point toucher. L’une, Typhème, est promise, comme on a pris soin de vous
le dire, au Docteur Saporta, lequel est fort bon homme et a le double de son
âge. Mais il est marrane, et Maître Sanche aussi.
    — Marrane ? dis-je.
    — Quoi ? dit Fogacer en
levant un sourcil. Monsieur votre père, vous logeant chez Maître Sanche, ne
vous aura pas instruit de cette particularité !
    — Il ne l’a pas fait.
    — Sachez que les marranes sont
des juifs espagnols – mais d’aucuns sont aussi portugais – d’abord
convertis de force par une cruelle persécution et ensuite chassés de leur pays
par la puante intolérance des prêtres, et que notre Roi Louis XI
accueillit dans le Languedoc. En quoi il fut fort sage, car ces marranes introduisirent
céans la médecine juive et la médecine arabe sans lesquelles notre collège
royal ne serait pas aujourd’hui ce qu’il est.
    — Et pourtant, à ce qu’il a dit
lui-même, Maître Sanche est catholique.
    — Bien forcé. Il l’est comme je
le suis moi-même ; de prudente, extérieure et nominale appartenance.
    Ceci me donna fort à penser mais je
préférais ne pas poursuivre en terrain si périlleux et je dis :
    — Est-ce parce que Saporta est
marrane que la belle Typhème lui est destinée ?
    — C’est là une des deux raisons,
dit Fogacer avec un sourire, l’autre étant que Maître Sanche est fort étoffé,
et Saporta, plus encore, possédant terres et vignes dans le plat pays, maintes
maisons en Montpellier et qui plus est, dans la rue du Bras-de-Fer – tant
abrupte et pentue qu’on l’appelle la devalada  – il détient en toute
propriété et jouissance un jeu de paume fort beau, et pour lui fort profitable
auquel il serait bien vu que vous apportiez votre pratique.
    — Mais je n’ai de ma vie touché
balle ni raquette.
    — Ce n’est rien. Je vous
apprendrai.
    Ha corbeuf ! Pensais-je, voilà
bien les gens des villes ! On vous prend ici argent à toutes mains.
    — Mais Fogacer, dis-je,
éclairez-moi d’un doute. Le père, céans, est catholique. Et le fils, réformé.
Maître Sanche et Luc sont donc l’un pour l’autre mutuellement hérétiques.
Comment cela est-il possible ?
    — Simple question de vêture,
dit Fogacer avec son sourire sinueux. Le père porte le manteau papiste. Et le
fils, le manteau de Calvin. Et ainsi chacun couvre l’autre. Ce qui est fort
bien avisé dans les temps incertains où nous sommes. Siorac, prenez bonne
graine de cette infinie prudence. Ne soyez pas par la ville réformé trop
strident. Les vôtres sont nombreux, c’est vrai, en Montpellier mais
ramentevez-vous que le Roi et sa Mère sont papistes et il faudra bien, à la
fin, vouloir ce qu’ils

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