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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sourcils démoniaques remontant vers les tempes.
Félix est qui potuit rerum cognoscere causas [9] .
    — Pourquoi ris-tu, alors ?
poursuivit Maître Sanche, interrompu ici par un cri déchirant. Ma commère,
cria-t-il en oc, tournant la tête vers le rideau, frictionnez !
Frictionnez ! Et n’épargnez pas vos Pater !
    Les deux remèdes étant alors
appliqués, j’imagine, avec plus d’énergie par les deux accoucheuses, une
rémission ne tarda pas, en effet, à s’ensuivre, et dans le silence, qui n’était
plus troublé que par quelques petits gémissements, Fogacer dit en latin :
    — Très illustre Maître,
premièrement je ne conteste pas l’efficacité de l’aigremoine. Secondement, je
suis trop bon chrétien pour disputer la bienfaisance d’un Pater. Mais je
conteste l’alliance du premier avec le second. En effet, de deux choses l’une.
Ou bien, l’aigremoine soulage la parturiente. Ou bien, c’est le Pater. Dans le
premier cas, le Pater est inutile. Et dans le second, l’aigremoine.
    — Medice, dit Maître Sanche, navita de ventis, de tauris narrai arator [10] . Mais vents et bœufs ne sont pas même chose. Femme accouche dans la douleur, mais
la douleur est de l’âme tout autant que du corps. Ergo, est bénéfique le
mélange des deux remèdes : l’aigremoine est le baume du corps, et le Pater
soulage l’âme…
    Il allait poursuivre quand la pauvre
Rachel se mit à hucher à oreilles étourdies.
    — Mes commères ! cria
Maître Sanche en oc d’une voix irritée. On ne s’oit plus parler céans tant on
est tympanisé ! Frictionnez ! Frictionnez ! Et n’épargnez pas
l’aigremoine ! Point ne veux lésiner quand il s’agit de mon épouse !
    — Magister, dis-je en latin quand
la hurlade se fut apaisée, je vous ai ouï déclarer deux fois comme chose
absolument certaine que Madame votre épouse allait vous bailler un fils.
Peux-je vous demander sur quel fondement vous asseyez cette certitude ?
    Fogacer, profitant d’une nouvelle plainte,
par quoi Maître Sanche était distrait, me glissa à l’oreille avec un
sourire :
    — Bene ! Bene ! Haec
est vexata questio [11] .
    Mais à dire le vrai, elle embarrassa
fort peu Maître Sanche, qui répondit tout de gob :
    — Cela ne souffre pas le
moindre doute, et encore moins de discussion. Parturiente en pleine lune
accouche d’un fils, et en nouvelle lune, d’une fille.
    Cependant, en dépit de l’aigremoine
et des Pater, les cris de la pauvre Rachel devenant de minute en minute plus
stridents. Maître Sanche voulut bien se lever et passer derrière le rideau afin
d’apporter à sa jeune épouse le bénéfice de son savoir.
    Comme le souper était fini de
longtemps, Luc, sa sœur Typhème, Balsa, Miroul et mon bien-aimé Samson
s’étaient allés coucher, et ne restaient à table que Fogacer et moi, quand la
Fontanette nous apporta dans un pichet une tisane de simples qu’elle nous
versa.
    — Ha Fontanette ! dit
Fogacer à voix basse. Le Maître va te gronder : une tisane ! Et
sucrée encore ! Et de ton propre chef !
    — Je dirai que je l’ai
commandée, dis-je incontinent.
    — Mille mercis, mon noble
Moussu, dit Fontanette avec un tendre sourire et une petite révérence.
    Puis pivotant dans son ample
cotillon, qui fit une gracieuse corolle autour de ses chevilles, elle voleta
d’un pas léger vers la cuisine. Je la suivis de l’œil.
    Fogacer, levant alors un noir
sourcil, et se penchant à me toucher le coude, dit à mi-voix avec un
sourire :
    — Nec nimium vobis formosa
ancilla ministret [12] .
    — Amen, dis-je, ne sachant que
dire d’autre, et le nez dans mon gobelet, mais fort heureux et de cette
gentille féminine attention, et aussi de la tisane, que je bus lentement tout
en mangeant une bonne tranche de pain, car à dire le vrai, j’avais un appétit à
recommencer la maigre chère que j’avais faite !
    — L’homme, dit Fogacer en
pointant un long index du côté du rideau, et en baissant la voix (ce qui était
bien inutile, les cris se poursuivant au même diapason), a quelques petits
travers, mais il est bon. Cependant, dit-il, finissez promptement votre
gobelet, de peur qu’il ne tance la pauvrette.
    Comme j’achevais de boire, le rideau
s’ouvrit, et Maître Sanche apparut, une épaule plus haute que l’autre, le dos
courbé, mais ses deux mains peignant joyeusement sa longue barbe grise. Il
s’arrêta devant nous et dit d’un air triomphant :
    — Cela touche à sa

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