En Nos Vertes Années
fin. J’ai vu
les cheveux du petit drole !
Il avait à peine achevé que la
parturiente poussa une série de cris à déboucher un sourd, et à ces cris
succéda tout soudain un long silence qui nous laissa tous étonnés. Puis, soulevant
le rideau, une commère entra, la tête basse et la face fort triste.
— Maître Sanche, dit-elle d’une
voix morne, Madame votre épouse vous demande humblement pardon : C’est une
fille.
— Quoi ! s’écria Fogacer,
se levant et feignant surprise et scandale. Une fille ! En pleine
lune !
— Il faut donc, dit Maître
Sanche sans même battre un cil, que quelque autre planète, envoyée par Dieu,
ait mêlé ses rayons à ceux de la pleine lune et contrarié ses effets.
Et levant gravement la main, il
ajouta :
— Astra regunt homines, sed
regit astra Deus [13] .
CHAPITRE IV
Ha ! le joli réveil que j’eus le
lendemain quand Fontanette, pénétrant dans ma chambre, ouvrit le volet de chêne
qui, de l’intérieur, obturait ma fenêtre, laquelle, comme celle de l’auberge
des Deux-Anges à Thoulouse, n’avait comme carreaux que du papier huilé,
imperméable aux vues mais non point au chaud soleil du Languedoc, qui déjà le
dorait.
— Ventre Saint-Antoine,
Fontanette, dis-je en me testonnant le cheveu de mes doigts ; comment
es-tu entrée céans ? J’avais mis le verrou à ma porte.
— Par celle-ci, dit-elle, qui
donne dans ma chambrette.
— Ha ! Fontanette,
m’écriai-je, tu vas me donner quelques petites idées.
Mais Fontanette, qui avait le
sourire et le rire si faciles, se fit là-dessus sérieuse comme abbesse en
carême et, son gracieux minois s’efforçant à la gravité, me fit tout un sermon.
— Moussu, si vos idées sont
celles que je me pense, vous ne devriez pas les avoir. Point ne suis servante
d’auberge qui s’escambille à tout venant, mais chambrière de bonne et
chrétienne maison. La porte par où je suis entrée céans est verrouillée de mon
côté. Et pour moi, ajouta-t-elle en baissant les yeux, je suis pucelle.
— Tu es donc verrouillée deux
fois, bravette fille, dis-je en souriant. Mais trouves-tu point quelque
incommodité à cet état ? Et voudrais-tu, comme nonne, y persévérer ?
— Je ne sais, Moussu, dit-elle
avec un air naïf qui me toucha. Je n’ai pas encore décidé.
Et pour une fois, moi qui suis
pourtant bien fendu de gueule, je n’eus rien à répondre, étant mû en tous sens
par des sentiments tout contraires, mes méchants désirs et ma douce pitié se
battant en moi comme harenguiers. Et à dire le vrai, je tenais et je tiens
toujours pour fort inéquitable qu’on demande à ces pauvres drolettes, parce qu’elles
sont filles, une vertu que personne n’exige des droles. Et que feraient
pourtant ceux-ci, si celles-là étaient toujours si roides ? Restant coi,
je ne laissais pas pour autant de l’envisager, tant fraîche et légère, allant
et venant dans la chambre, rangeant ma vêture partout éparpillée, et quand elle
eut fini, s’attardant quelque peu à admirer mes armes.
— Moussu, comment nomme-t-on
cette courte arquebuse ?
— Une pistole.
— Et cette courte épée ?
— Un braquemart.
Ce mot-là la fit bien rire et en
même temps rougir. Sur quoi, observant sa vergogne, je dis pour l’en
tirer :
— Çà, Fontanette, que
mange-t-on ici au réveil ?
— Une soupe.
— Fi donc ! dis-je en
faisant la grimace. Une soupe ! Et point de lait ?
— Ha ! Moussu ! Du
lait ! Vous n’êtes plus céans en votre Périgord ! Le plat pays autour
de Montpellier est tout pierre, grouette et sablon. La vigne y pousse et
l’olivier, mais vos vaches n’y trouveraient pas provende.
— Donc point de lait, Y a-t-il
au moins en cette soupe quelques juteux morceaux de porc ?
— Ha ! Moussu, du
cochon ? Dans cette maison vous n’en trouverez mie ! Mon maître n’en
veut point !
— Quoi ? Point de lard, ni
de jambon, ni de saucisse ? Pas de pâté non plus ?
— Pas une once ! Mais j’y
songe, mon noble Moussu, dit-elle avec quelque confusion (et tant plus j’aimais
ses petites mines qu’elles n’étaient point jouées ni contrefaites comme chez
d’aucunes), je suis venue vous réveiller d’ordre de M. le bachelier Fogacer qui
désire vous entretenir.
— Et maintenant tu le
dis ! Fontanette, ensauve-toi !
— Ne peux-je demeurer, Moussu,
pendant que vous mettez votre vestement ?
— Mais, Fontanette, tu me
verras
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