En Nos Vertes Années
reprit :
— Ils étaient roux. On dit de
David, dans le livre de Samuel, livre XVI, verset 12 :
« Celui-ci était roux. Il avait de beaux yeux et bonne apparence. »
Ce disant, il regarda Samson fort
gravement et dit :
— Description qui s’applique à
vous, mon beau neveu. Car vous avez bonne apparence, en effet, face fort belle,
yeux azuréens, et votre chevelure absalonienne est aussi rouge que les cuivres
de mes balances. C’est pourquoi on eût dû vous appeler David, et non Samson,
pour ce que Samson se laissa déconfire par une perfide femme et mauvaise
truande.
À cela, soit qu’il fût quelque peu
dépit qu’on pût douter du bon jugement du Baron de Mespech, soit plutôt qu’il
pensât tout soudain que Dame Gertrude du Luc serait un jour sa Dalila (rôle
pour lequel cette bonne et douce femme paraissait mal taillée), Samson devint
cramoisi et, les larmes au bord des cils, envisagea Maître Sanche avec un
regard tout filial où se lisaient respect, admiration, amour, et en même temps
une demi-interrogation, comme s’il balançait à lui demander s’il était en son
pouvoir de le rebaptiser, afin d’éloigner de lui les malices des femmes. Pour
moi, contemplant Samson et derechef atendrézi par sa colombine innocence, je ne
laissais pas pour autant de guetter Typhème du coin de mon œil senestre, et je
la vis alors sous les cils qu’elle tenait baissés – mais que de choses
peut voir bachelette en gardant la paupière close ! – jeter à mon
Samson un regard, un seul et si vif et si prompt et si aigu que je doutais
presque l’avoir surpris. Ha Docteur Saporta ! Docteur Saporta !
Pensez-y tant qu’il est temps : cave tibi a cane muto et aqua silenti [27] .
Cependant, le très illustre maître
poursuivait ses questions, et à l’une d’elles Samson et moi de nouveau restant
cois, ce fut Miroul qui répondit :
— Hé quoi, Miroul !
s’écria Maître Sanche, prodigieusement étonné, tu sais cela ?
— Très illustre Maître, dit
Miroul, je lis la Sainte Bible chaque jour que Dieu fait.
— En outre, tu sais lire ?
— Quand il m’a recueilli,
Moussu lou Baron de Mespech m’a fait instruire.
— J’en fis autant pour Balsa en
ses jeunes années, dit Maître Sanche en hochant la tête, afin qu’il eût accès
aux Saintes Écritures et combien qu’il ne possède qu’un seul œil, il lit fort
bien.
À cela, l’œil dont il s’agissait
brilla de gratitude, ce qui me toucha fort, ce sentiment étant de l’homme si
peu connu.
Cependant, me ramentevant que
l’apothicaire n’avait accepté qu’à rebrousse-poil que mon valet s’assît à table
aux côtés de son cyclopéen commis, je voulus le rehausser davantage dans
l’estime du maître, et je dis :
— Mais Miroul a d’autres talents.
Il est bon et brave soldat et chante fort joliment les psaumes de David en
s’accompagnant de sa viole.
— Mais c’est merveille !
C’est le Dieu de David qui l’envoie, s’écria Maître Sanche dont l’œil
incontinent étincela de bonheur et qui s’agita fort sur son escabelle,
testonnant furieusement sa barbe grise de ses doigts. Vous plaît-il, mon beau
neveu, de commander votre valet de quérir sa viole ?
Mais déjà l’alerte Miroul était
debout, m’interrogeant de ses yeux vairons.
— Va, Miroul, dis-je.
Fluet, vif, il fila comme carreau
d’arbalète, et dans le silence qui suivit, Luc qui de tout ce repas n’avait pas
pipé mot sauf pour amender, comme je l’ai dit, le benedicite de son
père, leva la tête et regarda l’apothicaire comme pour le mettre en garde contre
un danger qu’il ne voulait pas à voix haute formuler. À cette muette prière
Maître Sanche inclina le chef et dit :
— Balsa, quand Miroul
commencera à chanter, tu te planteras devant notre porte pour tâcher d’entendre
si le passant de la rue peut ouïr les paroles du chant et s’il le peut, tu
reviendras céans m’avertir.
À peine Balsa fut-il sorti, roulant
son torse de géant sur ses petites jambes torses que l’agile Miroul, volant à
travers la salle, vint poser son pied ailé sur son escabelle, la viole sur ses
genoux.
— Très illustre Maître, dis-je,
quel psaume Miroul doit-il chanter ?
— Celui que l’inspiration du
Seigneur lui dictera, dit Maître Sanche d’une voix sourde.
Miroul inclina la tête et le visage
tout soudain sérieux, il pinça quelques accords tant suaves et légers qu’ils me
parurent, je ne sais comment,
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