En Nos Vertes Années
céans ni
mouchoirs ni fichus.
— Eh, c’est qu’il fait chaud en
notre Languedoc ! En outre, pourquoi cacher les beautés que l’on tient de
nature ? Les mignotes de Montpellier passent pour les plus jolies du
Royaume, et d’aucuns prétendent même qu’elles ont donné leur nom à la
ville : Mons puellarum [28] tel serait le nom premier, primitif et latin de notre cité. Pour moi, la plus
belle de France. Car je ne voudrais la quitter pour tous les trésors de la terre,
même si le Roi me donnait Paris et son Louvre.
Voilà qui me ramentevait le
coutelier Pécoul et ses languedoquades.
— Cependant, dis-je pour
picanier quelque peu mon guide, on dit que Thoulouse et Marseille sont plus
grosses.
À quoi Cossolat, comme Pécoul avait
fait, sourcilla fort.
— La grosseur est de nulle
conséquence. À quoi jugez-vous de l’agrément d’une garce ? À la grosseur
ou à la beauté ?
— À sa beauté, monsieur, sans
contredit, et je vous accorde bien volontiers que Montpellier est ce que j’ai
vu à ce jour de plus magnifique. Cependant, je ne connais pas Paris.
— Vous ne laisserez pas d’être
déçu en voyant la capitale ! dit Cossolat. Nous avons céans de petits
canaux souterrains qui conduisent au loin nos eaux sales. Mais Paris ne connaît
point ces commodités. C’est une villasse, monsieur l’Écolier, une
villasse ! Et fort puante. Eau de cuisine, pisse et bren, tout va à la
rue. En outre, on n’y peut avancer d’un pouce, tant l’embarras des charrois est
grand. Il y a partout un vacarme à vous tympaniser ! Et l’insolence des
Parisiens – jusqu’aux pages, laquais et autres faquins – vous ferait
cent fois jaillir l’épée du fourreau, si l’on n’était chrétien !
Quant à ces propos-ci et autres de
même farine, déprisant Paris et les autres villes du Royaume, et plaçant
Montpellier au pinacle, j’eus l’occasion d’ouïr les mêmes mille et mille fois
sur les lèvres de Montpelliérains, ces bonnes gens étant entichés et comme
ensorcelés de leur belle cité. Et combien que j’eusse trouvé plaisantes sur mon
chemin Cahors, Thoulouse, Carcassonne et Narbonne, tant sont grands, en effet,
l’inexprimable charme et le bonheur de vivre qu’on trouve à Montpellier, qu’au
bout de quelques mois je commençais à répéter moi-même ces effrénées louanges
et à mettre Paris plus bas que Seine – moi qui pourtant n’avais jamais mis
le pied plus haut que Périgueux.
— Nous sommes ici dans la rue
de l’Aiguillerie, reprit Cossolat, et nous allons maintenant prendre à dextre
dans la rue Bocador ou Bouques d’Or comme d’aucuns l’appellent aussi. M. de
Joyeuse loge dans l’ancien hôtel du financier Jacques Cœur, et encore que ce
soit une demeure fort belle et digne d’un roi – à telle enseigne qu’en
1564 on y logea notre souverain Charles IX, que Dieu protège ! –
vous en trouverez une douzaine d’autres, tout aussi royales, en Montpellier,
tant nous avons ici de noblesse riche et de bourgeois étoffés.
Il est de fait que je fus étonné par
le monumental escalier de pierre qui menait aux appartements de M. de Joyeuse,
et dans ceux-ci par les tapis, tentures et meubles de grand prix dont je
n’avais nulle part avant ce jour vu une telle profusion. Je traversai, dans le
sillage de Cossolat, deux salles fort bien ornées, et m’arrêtai derrière lui
sur le seuil de la troisième, plus magnifique que les précédentes et éclairée
par trois grandes fenêtres par lesquelles le soleil entrait.
Le Vicomte de Joyeuse y prenait une
collation matinale, et comme nous nous trouvions debout, non point en face de
lui mais sur le côté, il ne nous vit pas, ou peut-être ne voulut pas nous voir,
tant absorbé qu’il était ou feignait d’être par les viandes qu’il avait devant
lui. Cossolat me faisant signe de ne piper ni broncher, j’eus tout le loisir,
pendant cette attente, d’observer le représentant du Roi.
C’était, à la vérité, un gentilhomme
de fort bonne et haute mine, vêtu d’un pourpoint de brocart et le cou enserré
d’une large fraise à godrons, j’entends à gros plis ronds empesés, et non pas
comme ma petite fraise huguenote, fort chichement plissée. Il était assis dans
un fauteuil à haut dossier, au haut bout d’une grande table de noyer poli, un
tout jeune drole debout à sa droite, fort joli lui aussi, et son fils, à n’en
pas douter, tant était grande la ressemblance entre père et
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