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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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prononcé en une langue qui n’était ni le français,
ni le latin, ni l’oc de Montpellier, ni l’espagnol, ni même le grec (dont j’ai
quelque teinture). Et chose émerveillable, tandis qu’il le prononçait, le très
illustre maître, pivotant sur lui-même, tourna la face du côté du mur (imité en
ceci par Typhème et Balsa mais non pas par Luc) et commença à balancer la tête
d’avant en arrière, et chantant la prière plus qu’il ne la récitait.
    Quoi fait, il se retourna du côté de
la table et dit en français :
    — Au nom du Seigneur Adonaï,
amen.
    À quoi Luc ajouta à voix basse et
cependant distincte :
    — Et du fils et du
Saint-Esprit, amen.
    Paroles que le maître n’eut pas
l’air d’ouïr, pas plus qu’il ne parut voir le signe de croix quasi furtif dont
son fils les fit suivre. Avec un temps de retard, j’imitai Luc, imité à mon
tour par Samson et Miroul, mais non par Fogacer qui, tout ce temps, resta coi,
l’œil clos, le sourcil sardonique.
    — Asseyons-nous, dit Maître
Sanche en frappant dans ses mains. Et nous fîmes comme il avait dit, moi-même
fort étonné de cet étrange benedicite en cette langue déconnue, et
prononcée de la manière bizarre que j’ai dite, la face contre le mur, en
appelant le Seigneur, Adonaï, d’un de ses noms bibliques. Mais sans invocation
du fils ni du Saint-Esprit et sans l’ébauche d’un signe de croix.
    Au milieu de ces étonnements, la
Fontanette servit à chacun la soupe, dans laquelle j’enfonçai ma cuiller,
cuidant que ce n’était là qu’un insignifiant casse-gueule.
    — Très illustre maître, dit
Samson qui regardait l’apothicaire avec un émerveillement dont j’eusse été
jaloux si ma nature m’avait porté à un sentiment si petit. Qu’est-ce Montolivet
dont vous êtes seigneur ?
    — Une terre que j’ai acquise,
dit Maître Sanche avec un air d’immense modestie. Grande et belle assez pour
que j’en puisse porter le nom et m’appeler Monsieur de Montolivet comme mon ami
le docteur Salomon se donne du Monsieur d’Assas, du nom de sa petite
seigneurie. Point ne l’en blâme, mais pour moi, je m’enorgueillis trop de mon
nom et de ma nation pour les déguiser plus qu’il n’est nécessaire pour vivre en
paix dans ce royaume. C’est bien assez d’être anusim [26] ajouta-t-il à
mi-voix, me laissant étonné de ce mot. Ma terre et ma maison des champs, mon
gentil neveu, reprit-il aussitôt, se tournant vers Samson, sont sises à l’ouest
de ce triste gibet que vous vîtes avant d’entrer en Montpellier par la porte de
la Saulnerie, et jouxtent la seigneurie du sieur Pécoul qui prospère fort rue
de l’Espazerie à vendre les épées, dagues et couteaux dont les bons sujets du
Roi s’entrecoupent la gorge lors de nos guerres civiles.
    — J’ai vu le sieur Pécoul,
dis-je, sur le chemin. Il allait son blé dépiquant et je lui ai parlé.
    — Je le savais, dit Maître
Sanche avec l’air d’avoir eu connaissance de cette rencontre avant même qu’elle
se fût produite. Ma terre de Montolivet, reprit-il, me donne du blé assez pour
cuire mon pain moi-même, des olives pour mon huile et la piquette que nous
buvons. Cependant, s’y trouve aussi une savoureuse vigne dont je tire mon
raisin de table et le moment venu, votre gentil frère et vous-même, je vous
emmènerai avec nous cueillir les olives et faire les vendanges.
    Je fus ravi de cette promesse tant
me manquait déjà le plat pays, peu accoutumé que j’étais à vivre enfermé en des
murs, dans la fade odeur des villes, et privé de la riante vue des combes et
des pechs où s’étaient passées mes enfances. Mais Fogacer, me poussant du coude
tandis que Maître Sanche parlait à son fils, me dit à voix basse :
    — Mangez beaucoup de pain.
Cette soupe est l’unique pot.
    — Quoi ! dis-je, sotto
voce. Point de chair ?
    — Hors celle qui nage ici, pas
la moindre.
    Sanguienne ! J’allais me
dessécher céans, n’embrassant que savoir !
    — Monsieur le bachelier
Fogacer, dit Maître Sanche, parlez-moi, je vous prie, des malades que vous
visitâtes ce matin en lieu et place du Docteur Rondelet.
    Que surtout le lecteur n’aille pas
croire que la conversation à table en cette maison allait à l’abandon, poussée
de-ci et de-là, au gré de chacun, se morcelant en a parte, se perdant en
billevesées, sornettes ou gausseries, ou propos de néant. Que non point !
Il y avait en Maître Sanche un si grand appétit à

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