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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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depuis
cinq jours à peine, et j’achevais un matin de me vêtir, quand la Fontanette,
fort alarmée, monta m’avertir, le feu aux joues et le parpal houleux, qu’un
officier du guet me demandait en bas. Je dévalai incontinent l’escalier et dans
l’entrée reconnus le Capitaine des archers qui, le jour de notre arrivée, nous
avait ouvert les portes de la Saulnerie, non sans s’être enquis de nos
croyances, comme peut-être vous vous ramentevez. C’était un homme fort trapu,
la membrature sèche et sans graisse, le dos droit, la tête haut dressée, et
très noir d’œil, de poil et de peau. Il portait épée et dague, mais sans morion
ni corselet, tout uniment vêtu d’un pourpoint rouge et de chausses de même
couleur, mais les manches noires et la toque aussi, l’air fort grave, mais
point si rude ni rebours qu’il paraissait d’abord, ayant dans le regard, tandis
qu’il m’envisageait, une aimable lueur. Il me salua fort civilement, me dit
s’appeler Cossolat et avoir mandat de m’amener auprès de M. de Joyeuse qui
désirait m’entretenir.
    — Eh quoi ! dis-je,
mi-alarmé et mi-feignant de l’être, va-t-on m’arrêter, me serrer en prison et
me juger pour le crime d’être huguenot ?
    — Rien de tout cela, dit
Cossolat avec un sourire. Je suis moi-même de la Religion. M. de Joyeuse est
catholique, mais à vrai dire, peu zélé, et pour moi, je sers fidèlement un
gouverneur papiste. Et plût à Dieu que tous les papistes et huguenots en cette
ville s’accordassent aussi bien que lui et moi. Mais il s’en faut. Depuis que
l’Édit d’Amboise a céans rétabli les papistes en leur ancienne domination, ce
ne sont que remuements, intrigues et sapes. Les papistes entendent se revancher
de nous. Ils sont inquiets de notre force. Ils organisent en ville des
processions de laboureurs ignares qui lancent des pierres contre nos maisons. À
quoi les plus excités des nôtres répondent fort sottement en envoyant leurs
enfants chanter les psaumes de David à tue-tête et oreilles étourdies sur le
parvis de la cathédrale de Saint-Pierre dans le même temps que les papistes y
célèbrent la messe.
    — Mais qu’ai-je à faire de ces
piques entre Montpelliérains ? dis-je, fort étonné. J’arrive à peine. Je
suis en ville pour étudier la médecine et non point certes pour me mêler à des
émotions.
    — C’est ce que M. de Joyeuse
voudra savoir. Car d’aucuns catholiques de Montpellier, sur le bruit de votre
valeur dans les Corbières, vous soupçonnent d’avoir été dépêché céans par le
Prince de Condé pour prendre la tête des réformés et se saisir de la ville.
    — Moi ? dis-je, étonné. Et
quel conte est-ce là ? Moi, Capitaine des réformés ? À quinze
ans ? Qui le croira ?
    — Ah, monsieur l’Écolier !
dit Cossolat avec un brillement de son œil noir. Vous ferez merveille avec M.
de Joyeuse : vous jouez fort bien du plat de la langue ! Mais votre
joli frère est-il aussi habile ?
    — Hélas, non, il est quasi
muet, et quand il parle, il a une certaine désolante franchise qui, jointe à
beaucoup de roideur dans sa foi, l’expose aux pires périls.
    — Alors, nous dirons que nous
l’avons laissé céans pour soigner la fièvre lente dont, en chemin, vous avez
dit qu’il était travaillé.
    À ouïr cela, j’envisageai béant
Cossolat et me trouvai tout d’un coup fort empêché d’ouvrir le bec.
    — Comme vous voyez, je sais
beaucoup de choses, dit le Capitaine des archers avec un sourire. Mais n’est-ce
pas mon état qui le requiert ? Venez, monsieur l’Écolier, reprit-il en me
prenant le bras, ne musons pas céans. Mon archer vous laissera son cheval. M.
de Joyeuse, comme tous les grands, ne souffre pas d’attendre.
    On ne chevaucha pas aussi vite que
Cossolat l’eût voulu, les rues étroites et tournoyantes de Montpellier étant obstruées
d’un grand concours de peuple, dont nombre de fillettes et ménagères qui, à la
pique du matin, sous le soleil déjà clair, s’en allaient, pimpantes, aux
emplettes. Nous mîmes donc au pas et nous cheminâmes au botte à botte, ce dont
je ne fus pas marri, ayant tant à voir dans ces rues.
    — Monsieur l’Écolier, dit
Cossolat avec un sourire, vous avez l’œil, ce me semble, sur le cotillon.
    — Nenni, dis-je, je ne vise
point si bas. Mais j’observe que ma position à cheval me donne de plaisantes et
plongeantes vues sur les corps de cotte qui, Dieu merci, ne comportent

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