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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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étant haut à la main et sourcilleux comme il sied à votre vaillance et
vos vertes années. Mais Cossolat sera là, il ne vous lâchera pas d’un pouce, et
j’ai bon espoir qu’il saura vous accommoder au baron. Car c’est ce que je
veux : un accommodement, et public, et complet.
    Le Vicomte de Joyeuse dit ceci d’une
voix haute, la crête redressée, le sourcil levé et œil à œil m’envisageant,
comme s’il me donnait à entendre qu’il parlait au nom du Roi. Sur quoi, je lui
fis un profond salut et l’assurai que pour paix garder en Montpellier, je me
ferais en cette affaire aussi facile et ployable qu’il le souhaitait.
    M. de Joyeuse me donna alors mon
congé d’une façon fort honnête mais sans toutefois se lever, et si tant est
qu’on peut mettre des degrés dans un salut de tête, celui qu’il me bailla me
parut de quelques pouces plus incliné que celui qu’il concéda à mon compagnon.
    — Eh bien, me dit Cossolat sur
le chemin des Trois-Rois. Que vous en semble ?
    — Qu’on se juche très haut
céans sur la cérémonie.
    — Laquelle, dit Cossolat, n’est
toutefois pas de pure vanité, mais moyen de gouvernement. Ramentevez-vous aussi
que la tripe n’est pas cruelle comme chez Montluc. Bien à rebours.
    Cossolat n’errait point en son
jugement, comme bien il apparut six ans plus tard quand, au lendemain de la
nuit funeste de la Saint-Barthélemy, qui vit à Paris un si grand massacre de
réformés, le gouverneur de Montpellier reçut de Charles IX l’ordre de
faire périr les nôtres en cette ville. Tout grand courtisan qu’il fût et fort
soucieux de sa fortune, M. de Joyeuse tint cet infâme commandement pour
contraire à l’honneur, et refusa de s’y plier, disant publiquement qu’il était
«  un soldat, non un bourreau ».
    Et en effet, s’il eut auparavant
comme dans la suite, d’ordre du Roi, à combattre les nôtres en bataille
rangée – et son fils, Anne de Joyeuse aussi, qui y perdit la vie en la
fleur de son âge – ce fut en soldat loyal, sans fiel ni haine, portant
dans toutes ses entreprises la modération et l’élégance qui étaient dans son
caractère.
    L’auberge des Trois-Rois était un fort grand et beau logis, où Samson et moi avions, l’avant-veille,
régalé Fogacer d’un succulent rôti de porc pour prix de ses bonnes leçons. Bien
je savais donc ce qu’en valait la chère et qu’elle allait retenir Caudebec fort
longtemps. Or, pensant déjà que mon accommodement avec le baron se ferait sans
dam ni dommage, je me réjouissais de ce long séjour des pèlerins en Montpellier
pour mon bien-aimé Samson, qui pourrait dès lors mignarder sa dame à loisir, au
lieu que non pas « embrasser le vent », comme la Fontanette avait
dit.
    Dès que nous démontâmes,
l’alberguière sortit sur son seuil et salua, tout souris, Cossolat, qu’elle
paraissait tenir en fort bonne amitié, et lui dit que les Roumieux (c’est ainsi
qu’en Montpellier on appelle les pèlerins qui se rendent à Rome) étaient à
cette heure matinale attablés déjà en la grande salle, gloutissant quantité de
viandes et de vins. J’entrai donc le premier dedans le logis, l’alberguière et
Cossolat à ma suite, et pensant que celui-ci était toujours sur mes talons, je
pénétrai dans la salle et me dirigeai droit vers le baron pour faire ma paix
avec lui. Mais à peine m’eut-il aperçu que, jetant derrière lui le pilon de
poulet qu’il était en train de manger, Caudebec se dressa, la face cramoisie,
ses yeux bleus lui sortant de la tête et tremblant de tous ses membres en son
insensé courroux.
    — Ha ! Hérétique !
hurla-t-il. Ha, vilain ! Ha, monstre ! Oses-tu bien montrer céans ta
traîtreuse face de traître ? Pâques Dieu, je vais bien payer ton
audace !
    Et dégainant sa dague, il me courut
sus. Je me retournai. Cossolat n’était point derrière moi, et fort effrayé de
son absence et de me trouver sans arme devant ce furieux, je reculai, et plus
vif certes que le baron, lui aurais échappé, si un des moines, allongeant le
pied derrière moi, ne m’avait fait choir. Caudebec, sa dague brandie et hurlant
« tue ! tue ! », m’aurait alors infailliblement rejoint et
occis si le page Rouen, contrefaisant l’étourdi, ne s’était jeté dans ses
jambes, ce dont il fut récompensé par un grand coup de botte qui l’envoya
rouler à dix pas. Mais cela me donna quelque répit et, me relevant, j’empoignai
par son pied

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