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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’escabelle du méchant moine et la tirai de dessous son cul avec
tant de force qu’il chut à son tour, et Caudebec aussi, qui tâchait de
m’atteindre par-dessus lui. Plût à Dieu que dans leur chute l’un eût embroché
l’autre par bonne chance ! Mais hélas, cela ne se fit pas, la Providence
étant distraite.
    Caudebec, se remettant sur ses pieds
et grognant comme sanglier, se remit incontinent, la dague au poing, à me
poursuivre autour de la table, tandis que d’aucuns pèlerins criaient
« Tue ! Tue ! », mais cependant sans lui prêter main forte,
d’autres « Fi ! Fi donc ! un homme désarmé ! » ;
d’aucunes de ces bonnes garces normandes allant même dans leur indignation jusqu’à
bombarder le baron de leurs gobelets et couverts pour retarder sa course. Mais
m’avisant que je me trouvais, sinon avec une épée, du moins avec un bouclier,
je fis face tout soudain et saisissant l’escabelle par les pieds, et la tenant
brandie devant moi, j’attendis le baron de pied ferme et la mine haute. Voilà
qui décontenança fort Caudebec et refroidit quelque peu son ire, et d’autant
que sa superstition, comme j’ai dit, m’attribuait l’invincibilité de mon père
au combat. Il me porta toutefois deux ou trois pointes que promptement je
parai. Cependant, peu content de cette défensive qui n’était pas dans ma
complexion, je balançai à lui jeter tout soudain mon escabelle à la tête quand
la forte voix de Cossolat retentit à travers la pièce, couvrant le vacarme.
    — Monsieur le Baron de
Caudebec ! cria le Capitaine, je vous arrête au nom du Roi !
    À cela, qui fit même effet que la
foudre, les pèlerins, pétrifiés, s’accoisèrent.
    — Monsieur, dit Caudebec en se
tournant comme si aspic l’avait piqué au talon, et sa trogne, de cramoisie
qu’elle était, devenant blanchâtre comme chandelle, Monsieur, que dites-vous
là ?
    — Monsieur le Baron de
Caudebec, reprit Cossolat dans le silence revenu, je vous arrête pour essai et
attentement de meurtrerie sur la personne de noble homme Pierre de Siorac ici
présent.
    — Mais ce n’est qu’un
huguenot ! cria Caudebec, et d’aucuns moines et zélés papistes parmi ces
pèlerins hurlèrent alors : « Sus ! Sus ! », pour
soutenir leur maître.
    À ceux-là, Cossolat répliqua en
sautant sur l’escabelle vacante du baron, et tirant tout soudain son épée dans
un grand froissement de fer, il cria d’une voix forte :
    — Bonnes gens, qui osera en
Montpellier affronter le Capitaine des archers ? Dois-je quérir mes hommes
et vous arrêter tous ? Ou vous faire jeter tous, vous et vos chevaux, dans
les fossés de la ville ?
    L’épée de Cossolat, sa vigoureuse
membrature, le brillement de son œil noir, et jusqu’à son français, prononcé
avec un terrible accent d’oc, firent merveille sur les pèlerins, qui baissèrent
la tête, fort déconfits à l’idée de perdre incontinent les délices des Trois-Rois dont tant ils se promettaient.
    — Capitaine, dit à la fin
Caudebec, bien marri de se voir abandonné des siens et cependant tâchant encore
de se raidir, vous ne pouvez me saisir : je suis baron.
    — Il est possible qu’en
Normandie je ne le puisse, dit Cossolat, la voix froide comme bise de novembre,
mais céans je le peux. Et le ferai, si M. de Siorac ne s’accommode à vous, et
vous à lui.
    — Moi ! M’accommoder au
baron ! m’écriai-je alors, voulant rajouter quelques boucles à ce nœud
pour que le baron peinât quelque peu à le dénouer. Moi qui lui ai sauvé la vie
en lui tirant du gargamel l’arête de poisson qui allait l’étouffant ! moi
qui ai sauvé sa troupe en bravant et défaisant les caïmans des Corbières !
et moi que, pour tout salaire, il a tâché d’occire, nu et désarmé, navrant en
outre mon honneur par les paroles sales et fâcheuses que nous avons hélas,
ouïes ! Nenni ! Nenni ! Ou bien vous arrêtez le baron,
capitaine, ou bien je lui ferai rentrer dans la gorge ses damnables insultes !
    À cela, le baron pâlit plus outre,
se voyant déjà couché en terre, sanglant et trépassé en ses péchés mortels, ou
même déjà rôtissant en purgatoire plus longtemps que les jours d’indulgence
qu’il avait achetés par milliers à ses moines, sa grande carcasse tournée et
retournée sur la broche du diable jusqu’à ce qu’elle fût dorée assez pour payer
au Seigneur sa gourmandise et sa luxure. Ayant en tête ce triste pensement,
blanc

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