En Nos Vertes Années
derechef.
— Point du tout, monsieur de
Siorac ! Prenez place, je vous prie. Couiza, dit-il en oc à son laquais,
avance un siège à M. de Siorac.
Et comme il n’avait point dit cela
en premier à Couiza, je compris combien l’instinct m’avait bien conseillé de
refuser d’abord, que ce refus était attendu et relevait des préséances que M.
de Joyeuse aimait qu’on observât.
Je m’assis donc, et le Capitaine des
archers, faisant à son tour un roide salut qui sentait bien un peu son soldat,
dit en un français assez baragouiné :
— Monsieur le Vicomte, dois-je
me retirer ?
— Nenni, mon cher Cossolat,
restez. Je peux avoir besoin de vos lumières. Prenez place.
— Monsieur le Baron, dit
Cossolat avec un autre de ses roides saluts, je connais trop mon devoir pour
m’asseoir en votre présence.
— Foin de ces cérémonies, mon
cher Cossolat ! dit M. de Joyeuse en découvrant un des plats dont
s’échappa incontinent un délicieux fumet. Cependant, il n’ordonna nullement à
Couiza d’avancer un siège et Cossolat resta debout.
Ha ! Pensai-je, quelle
captieuse étiquette est-ce là et que de pièges vous tend cette politesse !
On vous prie de vous asseoir et on s’offenserait si vous obéissiez !
— Monsieur de Siorac,
poursuivit M. de Joyeuse, je vous fais toutes mes excuses pour avoir pris la
liberté de vous déranger ce matin. Ma charge me commande de tout savoir ce qui
se passe en ce pays et si cela vous agrée, j’aimerais ouïr de votre bouche le
récit de vos engagements dans les Corbières. Mais, j’y pense, ajouta-t-il d’un
ton léger et comme en passant, monsieur de Siorac, me ferez-vous la grâce de
partager ma petite collation ?
Par les septante-sept diables de
l’enfer, je fus tenté ! Ces viandes ! Ces vins ! Ces friandes
odeurs ! Sous mon nez ! À portée de bec ! Mais comme j’allais
succomber, j’observai juste à temps que mon cruel tentateur ne commandait point
à Couiza de placer un couvert devant moi et, baissant les yeux, avec mille
mercis, je refusai.
— Eh bien, donc, je vous ois,
dit M. de Joyeuse, enfournant fort délicatement dans sa bouche une aile de
pigeon croustillante et rôtie que je ne pus empêcher mes yeux de suivre jusqu’à
ce que ses belles dents blanches se refermassent sur elle.
Me ramentevant alors comment, à son
retour de guerre, mon père avait raconté devant sa famille et ses gens la prise
de Calais par les nôtres, faisant ce conte à la chaude et comme au débotté, sur
un ton de légère et gaillarde gausserie, je résolus d’imiter sa manière. Je
tiens, en effet, qu’il y a peut-être quelque incommodité pour votre auditeur à
vous ouïr vous rincer trop gravement la bouche de votre propre vaillance et
qu’au rebours il vous sait gré de lui donner à penser qu’à votre place il en
eût fait autant.
M. de Joyeuse parut prodigieusement
chatouillé par mon récit et quand je décrivis la façon dont je dépouillai le
Baron de Caudebec de son tonnelet de Malvoisie pour le donner à Espoumel, et
comment y celui, que je libérais, demanda s’il devait, après son ambassade,
revenir à moi pour se faire pendre, M. de Joyeuse, renversant la tête en
arrière sur le dossier de son fauteuil, en rit à gueule bec à se mouiller les
yeux, non sans toutefois par décence placer gracieusement un mouchoir brodé
devant sa bouche.
Anne de Joyeuse, qui, l’œil en
fleur, béait en m’écoutant, demanda alors à son père la permission de parler,
et incontinent l’obtenant, me posa de sa petite voix douce et chantante
d’infinies questions sur d’aucuns détails de mon conte, soit qu’il ne les eût
pas entendus, soit qu’il voulût en savoir davantage. À toutes je répondis avec
une patience extrême, choisissant les mots les plus simples et m’aidant de
gestes et de mimiques.
— Ha, monsieur de Siorac !
dit M. de Joyeuse quand j’eus fini, si vous n’étiez écolier en médecine, quel
excellent pédagogue vous eussiez fait en place de ce pédant crotté qui apprend
à mon fils l’histoire de nos Rois. Mais, monsieur, poursuivit-il, changeant
tout soudain de ton et de visage, peux-je vous demander si monsieur votre père,
le Baron de Mespech, a pris part à la guerre fratricide qui travailla si fort
les sujets du Roi ?
Cette question m’étonna, car il me
parut, au ton même dont elle était posée, que M. de Joyeuse connaissait déjà la
réponse.
— Non point, monsieur le
Vicomte, dis-je
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