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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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partir.
    Ce disant, Fogacer me prit par le
bras et m’entraîna sur le pavé de la ville, lequel ardait encore à travers nos
semelles, combien que le soleil ne fût plus à son zénith.
    — Siorac, dit le Bachelier,
vous marchez à la campagnarde, votre pas est trop prompt. En ville, il faut se
trantoler, un œil ci, un œil là, musant et s’amusant au spectacle de la rue,
sans perdre goutte ni miette des boutiques, des équipages et des passants.
N’est-ce pas très plaisant spectacle, que tous ces gens allant et venant,
d’âges et conditions différents, et chacun la tête toute à son projet. Ha, que
belle et diverse dans le monde est l’humanité, et comme, étant homme, on
devrait la chérir, et aussi diligemment l’étudier, à commencer par notre corps
périssable, lequel corps est lui-même un monde que nous commençons à peine
d’explorer. Et pourtant, Siorac, si nous voulons soulager l’homme des maux innumérables
dont il est assiégé, ne devons-nous point débuter par là ? Avez-vous lu de
Rondelet le mémorable Methodus ad curandorum omnium morborum corporis humani [44] dont je vous ai baillé les notes ?
    — J’ai lu et appris le livre De morbo italico [45] .
    À quoi Fogacer rit à gueule déployée
et observant que cet éclat faisait les passants se retourner sur nous, il
poursuivit, toujours riant, mais en latin :
    — Jeune et brillant
Siorac ! Tu es tout à Vénus, même en tes études ! Et tu commences là
où le bât risque de te blesser ! Mais c’est fort bien. Rondelet désirera
peut-être que devant lui je te sonde.
    — Me sonder !
    À quoi il rit encore et reprit en
français :
    — Ne vous effrayez point. À
peine quelques petites questions. Ce ne sera point un examen, ni une
disputation.
    Et tout le reste du chemin, je
m’accoisai, fort ému de rencontrer un homme que je plaçais bien au-dessus de M.
de Joyeuse, pour ce qu’il connaissait l’art de guérir ses semblables et non de
les tuer. Mais me mettant martel en tête de ces questions que Fogacer allait
peut-être me poser devant un si grand médecin, j’étais en moi-même si retiré
que j’omettais même en mon chemin d’espincher les fillettes, marchant l’œil sur
le pavé et tâchant de me remémorer ce que j’avais appris du mal de Naples, ou comme disait Rondelet, du mal italien, ce qui n’était guère plus
gracieux pour nos voisins d’au-delà des Alpes. Et combien je me sus gré alors
d’avoir recopié le De morbo italico ligne à ligne, d’après les notes de
Fogacer, n’ignorant pas que ce savant traité, tout célèbre qu’il fût parmi les
doctes du royaume, n’avait pu trouver encore d’imprimeur, l’impression étant si
coûteuse, et la vente à venir si lente et si peu sûre.
    La demeure de Rondelet était sise en
la rue du Bout-du-Monde, étrange nom pour une rue en plein mitan de la ville.
S’y dressait aussi, en fort commode proximité, le Collège Royal où le
Chancelier enseignait. Et ma foi, décorée de fenêtres à meneaux, la maison du
célèbre médecin me parut belle. Elle était flanquée d’une tourelle où, je gage,
un escalier tournoyant menait aux étages.
    Fogacer s’arrêtant pour toquer à
l’huis, je lui dis :
    — À en juger par sa demeure,
notre Chancelier est assez étoffé…
    — Il l’est, dit Fogacer en
souriant. Et le serait davantage s’il n’avait la manie de démolir pour construire
derechef, changeant les choses carrées en choses rondes, quadrata rotundis. Ainsi, cette petite tour que vous voyez était carrée autrefois, mais notre
chancelier l’a mise à bas et à grand prix l’a faite ronde, pour son particulier
plaisir. Car il affecte de grande amour tout ce qui est courbe, y compris les
tétins des drolettes.
    À ce trait, qui me plut fort, je sus
que j’allais aimer cet homme, et quand je l’envisageai en effet, combien qu’il
fût encore assez défait par l’intempérie qui l’avait travaillé, je ne fus pas
déçu. Fogacer l’avait fort bien portraituré, disant de lui qu’il avait
« la stature courte, le ventre gros, les membres brefs ». À le voir,
je compris incontinent que le Maître François Rabelais, en son Tiers Livre, l’eût peint sous les traits du médecin Rondibilis. Car à vrai dire, non
seulement son corps, mais ses traits eux-mêmes étaient ronds, pour autant qu’on
les pouvait voir, une longue barbe grise en mangeant la moitié. Cependant, le
front ample et bossué me parut fort beau, et

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