Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
l’œil noisette, fort vif, la lèvre
lippue et friande, le cou robuste, la voix chaleureuse.
    — Fogacer, dit-il
familièrement, laissons là les compliments. Prenez cette escabelle, et vous
aussi, Siorac. Asseyez-vous, je vous prie, et parlons. Siorac, je n’ai pas eu
l’heur de connaître monsieur votre père, étant hors de Montpellier quand il
vint étudier au Collège Royal de médecine ; et je n’y suis revenu qu’après
qu’il en fut parti, dans les fâcheuses conditions que vous savez, étant
poursuivi pour meurtre alors même qu’il n’avait fait que se défendre en duel
loyal contre un nobliau qui l’avait provoqué. Cependant, par tout ce que j’ai
ouï de Maître Sanche sur la personne de monsieur votre père, il fut céans
ardent à vivre et ardent à apprendre, comme on dit que vous êtes aussi, raison
pour laquelle j’ai désiré vous voir, et sonder vos connaissances.
    Je fis alors mille mercis, que le
Chancelier écourta d’un geste de la main, puis s’acagnardant dans le grand
fauteuil où il était à demi couché, il m’envisagea d’un air d’extrême
bénignité, mais qui ne laissait pas, en même temps, d’être pénétrant.
    — Siorac, dit-il, vous avez
l’œil mobile et fureteur de l’écureuil qui, happant çà et là mille choses, fait
sa provende et les ramasse en son grenier. Ainsi, je ne doute pas que vous ne
deveniez un jour, comme le recommande François Rabelais, un « abîme de
science ». (Il rit en disant cela.) Mais je vous vois la bouche pleine de
questions, que la civilité vous interdit de poser. Passez outre, Siorac, passez
outre ! Satisfaites, de grâce, votre scuriolique [46] curiosité. Mais
cependant, faites un choix, pour moi fort illuminant : de toutes les
questions qui se pressent derrière l’enclos de vos dents, n’en posez qu’une,
une seule, et à celle-là je répondrai.
    À quoi, incontinent, je dis :
    — Monsieur le Chancelier
Rondelet, voici ma question : Fûtes-vous, comme on dit, le modèle dont
s’inspira François Rabelais pour son Rondibilis ?
    — Siorac, dit le Chancelier,
êtes-vous bon escrimeur ?
    — Je ne suis pas mauvais, et je
serais fort bon, si ma défense valait mon attaque.
    — C’est bien ce que j’opine à
vous ouïr, dit Rondelet avec un sourire. Pour me découvrir, vous vous êtes
beaucoup découvert.
    À quoi Fogacer fit un petit rire,
arquant son noir sourcil.
    — Voici donc ma consultation
sur vos humeurs, dit Rondelet. Primo, vous êtes homme de prime saut et de sang
généreux. Secundo, vous avancez dans la vie poitrine en avant, recevant et
baillant des coups. Tertio, vous avez grande fiance en vous-même, ce qui est
bien, et grande fiance aussi aux autres, ce qui n’est point prudent. Quarto,
votre curiosité des personnes l’emporte sur votre curiosité des choses.
    — Ha ! Ha ! dit
Fogacer en riant à gueule bec. C’est tout craché cela !
    — Monsieur le Chancelier,
dis-je, je ne suis pas sûr d’entendre votre quarto.
    — Eh bien, voici : n’ayant
à me poser, par mon commandement, qu’une unique question, vous eussiez pu
m’interroger sur un point délicat de la médecine. Vous avez préféré me
connaître.
    À quoi je rougis et me tins coi, ne
sachant si j’étais là-dessus approuvé ou blâmé.
    — Fogacer, reprit le
Chancelier, montez, de grâce, sur cette escabelle, et prenez sur le rayon à
votre dextre le Tiers Livre de Maître François Rabelais, lequel, gentil
Siorac, je connus en effet fort bien, car je fus, en mes vertes années, avec
lui dans la même relation que Fogacer avec vous. Car j’étais bachelier et
procurateur des étudiants quand Rabelais, dans la quarante-deuxième année de
son âge, vint s’inscrire en notre Collège Royal. Et combien que je fusse son
cadet de quatre lustres, nous fûmes intimes compagnons de ripailles, de
beuveries, de savantes disputations et de divertissements en la taverne de la Croix-d’Or en Montpellier. Plus grande gaieté d’esprit oncques ne vis qu’en cet homme que
bien peux-je appeler divin pour l’amour de l’humanité qu’il portait en lui.
    — Monsieur notre maître, voici
Rabelais, dit Fogacer à Rondelet, lequel le prenant sur ses genoux, le livre
s’ouvrit comme de soi au passage qu’en ces vingt dernières années son
possesseur avait tant souvent relu.
    — Siorac, poursuivit le
Chancelier, vous vous ramentevez sans doute que Panurge s’enquiert à la ronde
de savoir si, se mariant, il

Weitere Kostenlose Bücher