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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pendu, ou bien ils dessinent une croix sur leur escabelle afin de pouvoir dire qu’ils
s’assoient dessus : pratiques sales et fâcheuses, que mon père condamne.
Mais lui-même ne se signe point et, à la fin du benedicite, omet le nom
du fils.
    — Oui, j’ai noté cet oubli.
    — Ce n’est pas un oubli.
Pierre, si je vous dis ceci, c’est pour que vous compreniez bien que j’ai été
élevé dans ce refus tacite, tenace et parfois injurieux du Christ. En cette
maison, vous ne verrez de crucifix dans la grande salle que lorsque nous y
recevons des papistes. En temps ordinaire, il dort au fond d’un coffre, sous le
prétexte, que seule la Fontanette gobe, qu’étant en précieux ivoire, il
jaunirait à l’air. Or, Pierre, voici ce qui arriva : quand je quittai mes
maillots et enfances, et entendis les évangiles, mais les entendis vraiment,
dans leur mœlle et substance, ne laissant pas d’être frappé, tandis que je les
lisais, par leur merveilleuse noblesse, la morale m’en parut très belle et très
neuve, plus accordée à l’humaine tendresse que celle que j’avais vue dépeinte
dans l’Ancien Testament, sous de plus rudes et primitives couleurs. Je ne pus
douter alors que celle-ci avait été par celle-là corrigée selon un décret
exprès de la volonté du Seigneur, et qu’en conséquence non seulement
l’enseignement du Christ, mais le Christ lui-même devaient être tenus pour
divins.
    — Mais, dis-je, comment se
fait-il alors, que croyant au Christ, vous ne devîntes pas catholique de cœur,
comme vous l’étiez déjà d’apparence ?
    — Je ne le pus ! dit Luc,
lèvres et dents serrées avec un subit brillement de l’œil. Car je ne pouvais
accepter l’ignorance de la Sainte Bible où les prêtres papistes maintiennent
leurs fidèles, ni les idolâtries dont ils ont surchargé la parole du Christ. Et
moins encore pouvais-je pardonner les atroces persécutions dont ils ont foulé
mes ancêtres. Mais étudiant la religion réformée, et ne trouvant en elle aucune
de ces grièves fautes, je décidai de l’embrasser.
    Ayant dit, il se tint coi et
tranquille, essuyant les larmes sur ses joues et quelque peu vergogné, je
pense, de les avoir versées. Et moi, silencieux aussi à ses côtés et lui tenant
la dextre entre mes mains pour le conforter de mon mieux, je me ramentevais
qu’élevé par ma mère en la religion catholique, j’avais été converti à la
chaude, sur l’ordre impérieux de mon père, lequel, quelques années plus tard,
fut si dépit et courroucé de découvrir autour de mon col la médaille de Marie
léguée par sa défunte épouse, que peu s’en était fallu qu’il ne me jetât
dehors. Et quoi pensant, qui ne m’égayait point (car j’aimais mon père de
grande amour, et il était en tout mon modèle), j’envisageais Luc et Luc
m’envisageait de ses yeux tant beaux et lumineux et, en mon for, je ne laissais
pas d’admirer qu’il eût reçu la liberté de choix qui m’avait été refusée.
    — Mais, Luc, dis-je, qu’a dit
le très illustre maître de votre conversion ?
    — Ha ! s’écria Luc. Mon
père est le meilleur des pères ! Et quelles louanges pourrais-je jamais
donner à sa bonté, à sa bénignité, à son infinie tolérance ? Il ne
consulta pas en la matière sa commodité, mais la mienne, inclinant
généreusement son autorité devant mon libre arbitre :
    — Mon fils, me dit-il, je
respecte le Christ, mais je ne le tiens pas pour divin. Si cependant vous le
tenez pour tel et inclinez à la Réforme, allez votre chemin. Il aura sur le
mien l’incommensurable avantage d’accorder votre apparence à votre être. Car je
vous le dis, bien étrange est la foi qui ne croit ce qu’elle croit que pour
n’avoir point le courage de le décroire. Cependant, je vous prie, soyez en
votre conduite d’une prudence extrême. Les papistes, quand ils sont zélés, sont
des gens redoutables. Mon fils, songez-y deux fois : brûlé comme juif ou
brûlé comme réformé, c’est même brûlure et même mort.
    Me ramentevant alors que je désirais
voir mon bien-aimé Samson avant qu’il partît rejoindre Dame Gertrude à la
première heure de l’après-midi, je pris congé de Luc plus vite que je ne
l’aurais voulu, mais non sans l’accoler et le baiser encore sur les deux joues,
tout atendrézi que j’étais par le mélange de morale vigueur et de charnelle
fragilité qui se conjuguaient en lui. Je lui jurai, en le quittant, mon

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