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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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disait-il, en regardant ce vieillard.
    Et il se remémorait les détails de son entrevue, la veille. C'est pourtant vrai, pensait-il, il y a chez ce moine un peu de l'allure de ce frère Junipère dont la surprenante simplicité a franchi les âges.
    Et il se recordait des aventures de ce Franciscain que ses compagnons laissèrent, un jour, seul, dans le couvent, en lui recommandant de s'occuper du repas, afin qu'il fût prêt, dès leur retour.
    Et Junipère réfléchit : - que de temps dépensé à préparer les mets ! Les frères qui se relaient dans cet emploi n'ont plus le moyen de vaquer aux oraisons ! - et désirant alléger ceux qui lui succéderont à la cuisine, il se résout à conditionner de si copieux plats que la communauté puisse s'alimenter avec eux pendant quinze jours.
    Il allume tous les fourneaux, se procure, on ne sait comment, d'énormes chaudrons, les remplit d'eau, y précipite, pêle-mêle, des oeufs avec leurs écailles, des poulets avec leurs plumes, des légumes qu'il omet d'éplucher et il s'évertue devant un feu à rôtir des boeufs, à piler, à remuer avec un bâton la pâtée saugrenue de ses bassines.
    Quand les frères rentrent et s'installent au réfectoire, il accourt, la figure rissolée et les mains cuites, et sert, joyeux, sa ratatouille. Le supérieur lui demande s'il n'est pas fol et il demeure stupéfié que l'on ne s'empiffre pas cet étonnant salmis. Il avoue, en toute humilité, qu'il a cru rendre service à ses frères et ce n'est que sur l'observation que tant de nourriture sera perdue, qu'il pleure à chaudes larmes et se déclare un misérable ; il crie qu'il n'est propre qu'à gâter les biens du bon Dieu, tandis que les moines sourient, admirant la débauche de charité et l'excès de simplicité de Junipère.
    Le frère Siméon serait assez humble et assez naïf pour renouveler d'aussi splendides gaffes, se disait Durtal ; mais mieux encore que le brave Franciscain, il m' évoque le souvenir de cet exorbitant saint Joseph de Cupertino dont l'oblat parlait hier.
    Celui-là, qui s'appelait lui-même frère Ane, était un délicieux et pauvre être, si modeste, si borné qu'on le chassait de partout. Il passe dans la vie, la bouche ouverte, se cognant, ahuri, contre tous les cloîtres qui le repoussent. Il vagabonde, inapte à remplir même les besognes les plus viles. Il a, comme dit le peuple, des mains en beurre, il casse tout ce qu'il touche. On lui commande d'aller chercher de l'eau, et, il erre, sans comprendre, absorbé en Dieu, finit, quand personne n'y pense plus, par en apporter au bout d'un mois.
    Un monastère de capucins, qui l'avait recueilli, s'en débarrasse. Il repart, vague, désorbité, dans les villes, échoue dans un autre couvent où il s'emploie à soigner les animaux qu'il adore ; et il surgit dans une perpétuelle extase, se révèle le plus singulier des thaumaturges, chasse les démons et guérit les maux. Il est tout à la fois idiot et sublime ; dans l'hagiographie, il reste unique et semble y figurer pour fournir la preuve que l'âme s'identifie avec l'Eternelle Sagesse, plus par le non-savoir que par la science.
    Et, lui aussi, il aime les bêtes, se disait Durtal, en contemplant le vieux Siméon ; et, lui aussi, il poursuit le malin et opère par sa sainteté des guérisons.
    Dans une époque où tous les hommes sont exclusivement hantés par des pensées de luxure et de lucre, elle paraît extraordinaire l'âme décortiquée, l'âme candide et toute nue, de ce bon moine. Il a quatre-vingt ans sonnés, et il mène, depuis sa jeunesse, l'existence sommaire des Trappes ; il ne sait probablement pas dans quel temps il vit, sous quelles latitudes il habite, s'il est en Amérique ou en France, car il n'a jamais lu un journal et les bruits du dehors ne parviennent pas jusqu'à lui.
    Il ne se doute même pas du goût de la viande et du vin ; il n'a aucune notion de l'argent dont il ne soupçonne ni la valeur, ni l'aspect ; il ne s'imagine point comment une femme est faite ; ce n'est que par la saillie de ses verrats et la gésine de ses truies qu'il devine peut-être l'essence et les suites du péché de chair.
    Il vit seul, concentré dans le silence et terré dans l'ombre ; il médite sur les mortifications des pères du désert qu'on lui détaille pendant qu'il mange ; et la frénésie de leurs jeûnes le rend honteux de son misérable repas et il s'accuse de son bien-être !
    Ah ! ce père Siméon, il est innocent ; il

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