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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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paraissait aussi taillé dans le cristal et rempli de jour.
    Et ces vitraux, différents en cela de ceux des autres églises, absorbaient les rayons du soleil, sans les réfracter. Ils avaient sans doute été privés volontairement de reflets, afin de ne pas insulter par une insolente gaieté de pierreries en feu à la mélancolique détresse de cette église qui s'élevait dans l'atroce repaire d'un quartier peuplé de mendiants et d'escarpes.
    Alors des réflexions assaillaient Durtal. Dans Paris, les basiliques modernes étaient inertes ; elles restaient sourdes aux prières qui se brisaient contre l'indifférence glacée de leurs murs. Comment se recueillir dans ces nefs où les âmes n'ont rien laissé d'elles, où lorsqu'elles allaient peut-être se livrer, elles avaient dû se reprendre, se replier, rebutées par l'indiscrétion d'un éclairage de photographe, offusquées même par l'abandon de ces autels où aucun saint n'avait jamais célébré la messe ? Il semblait que Dieu fût toujours sorti, qu'il ne rentrât que pour tenir sa promesse de paraître au moment de la consécration et qu'aussitôt après, il se retirât, méprisant, de ces édifices qui n'avaient pas été créés expressément pour lui, puisque, par la bassesse de leurs formes, ils pouvaient servir aux usages les plus profanes, puisque surtout ils ne lui apportaient point, à défaut de la sainteté, le seul don qui pût lui plaire, ce don de l'art qu'il a, lui-même, prêté à l'homme et qui lui permet de se mirer dans la restitution abrégée de son oeuvre, de se réjouir devant l'éclosion de cette flore dont il a semé les germes dans les âmes qu'il a triées avec soin, dans les âmes qu'il a, après celles de ses saints, vraiment élues.
    Ah ! les charitables églises du Moyen Age, les chapelles moites et enfumées, pleines de chants anciens, de peintures exquises et cette odeur des cierges qu'on éteint, et ces parfums des encens qu'on brûle ! A Paris, il ne restait plus que quelques spécimens de cet art d'antan, que quelques sanctuaires dont les pierres suintaient réellement la Foi ; parmi ceux-là, Saint-Séverin apparaissait à Durtal comme le plus exquis et le plus sûr. Il ne se sentait chez lui que là ; il croyait que s'il voulait enfin prier pour de bon, ce serait dans cette église qu'il devrait le faire, et il se disait : ici, l'âme des voûtes existe. Il est impossible que les ardentes prières, que les sanglots désespérés du Moyen Age n'aient pas à jamais imprégné ces piliers et tanné ces murs ; il est impossible que cette vigne de douleurs où jadis des saints vendangèrent les grappes chaudes des larmes, n'ait pas conservé, de ces admirables temps, des émanations qui soutiennent, des effluves qui sollicitent encore la honte des péchés, l'aveu des pleurs !
    De même que Sainte Agnès demeurant immaculée dans les bordeaux, cette église restait intacte dans un milieu infâme, alors que tout autour d'elle dans les rues, au Château rouge, à la crémerie Alexandre, là, à deux pas, la tourbe moderne des sacripants combinaient leurs méfaits, en cuvant, avec des prostituées, les boissons de crimes, les absinthes cuivrées et les trois six !
    Dans ce territoire réservé du Satanisme, elle émergeait, délicate et petite, frileusement emmitouflée dans les guenilles des cabarets et des taudis ; et, de loin, elle dressait encore, au-dessus des toits, son clocher frêle, pareil à une aiguille piquée la pointe en bas et ajourant en l'air son chas au travers duquel on apercevait, surplombant une sorte d'enclume, une minuscule cloche. Telle elle apparaissait, du moins, de la place Saint-André-des-arts. Symboliquement, on eût dit d'un miséricordieux appel toujours repoussé par des âmes endurcies et martelées par les vices, de cette enclume qui n'était qu'une illusion d'optique et de cette très réelle cloche.
    Et dire, songeait Durtal, dire que d'ignares architectes et que d'ineptes archéologues voudraient dégager Saint-Séverin de ses loques et la cerner avec les arbres en prison d'un square ! Mais elle a toujours vécu dans son lacis de rues noires ! Elle est volontairement humble, en accord avec le misérable quartier qu'elle assiste. Au Moyen Age, elle était un monument d'intérieur et non une de ces impétueuses basiliques que l'on dressait en évidence sur de grandes places.
    Elle était un oratoire pour les pauvres, une église agenouillée et non debout ; aussi serait-ce le

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