En Route
que je sens s'affirmer, de plus en plus impérieux, en moi, je me prépare une vie de malaises et de remords, car je sais très bien que je ne dois pas m'éterniser ainsi sur le seuil, mais pénétrer dans le sanctuaire et y rester. Et si je me décide… ah ! Non, par exemple… car alors il faudra s'astreindre à un tas d'observances, se plier à des séries d'exercices, suivre la messe le dimanche, faire maigre le vendredi ; il faudra vivre en cagot, ressembler à un imbécile !
Et il se rappelait soudain, pour s'aider à la révolte, la dégaîne, la tête, des gens assidus dans les églises ; pour deux hommes qui avaient l'air d'êtres intelligents, d'êtres propres, combien, à n'en pas douter, étaient des cafards et des pleutres !
Presque tous avaient l'aspect louche, la voix huileuse, les yeux rampants, les lunettes inamovibles, les vêtements en bois noir des sacristains ; presque tous égrenaient d'ostensibles chapelets et, plus stratégiques, plus fourbes encore que les impies, ils rançonnaient leur prochain, en quittant Dieu.
Et les dévotes étaient encore moins rassurantes ; elles envahissaient l'église, s'y promenaient ainsi que chez elles, dérangeaient tout le monde, bousculaient les chaises, vous cognaient sans même demander pardon ; puis elles s'agenouillaient avec faste, prenaient des attitudes d'anges contrits, marmottaient d'intarissables patenôtres, sortaient de l'église encore plus arrogantes et plus aigres.
Comme c'est encourageant de se dire qu'il faudra se mêler à la clique de ces pécores pieuses ! s'écriait-il.
Mais aussitôt, sans même qu'il le voulût, il se répondait : tu n'as pas à t' occuper des autres ; si tu étais plus humble, ces gens te paraîtraient sans doute moins hostiles ; ils ont dans tous les cas le courage qui te manque ; eux n'ont pas honte de leur foi et ils ne craignent pas de s'agenouiller en public devant leur Dieu.
Et Durtal restait penaud, car il devait bien s'avouer que cette riposte frappait juste. L'humilité lui faisait défaut, cela était sûr, mais ce qui était peut-être pis encore, il ne pouvait se soustraire au respect humain.
Il appréhendait de passer pour un sot ; la perspective d'être aperçu, à genoux, dans une église, l'horripilait ; l'idée, si jamais il devait communier, de se lever, d'affronter les regards pour s'acheminer vers l'autel, lui était intolérable.
S'il vient jamais, ce qu'il sera dur à subir ce moment-là ! Se disait-il ; et pourtant, c'est idiot, car enfin je n'ai que faire de l'opinion de personnes que je ne connais point ! Mais il avait beau se répéter que ses alarmes étaient absurdes, il ne parvenait pas à les surmonter, à se dissuader de la peur du ridicule.
Enfin, reprenait-il, quand même je me déciderais à sauter le fossé, à me confesser et à communier, il resterait toujours à résoudre la terrible question des sens ; il faudrait se déterminer à fuir les emprises de la chair, à renoncer aux filles, à accepter un éternel jeûne. Ca, je n'y parviendrai jamais !
Sans compter que, dans tous les cas, le moment serait mal choisi si je tentais dès maintenant cet effort, car je n'ai jamais été si tourmenté que depuis ma conversion ; ah ! ce que le catholicisme suscite d'immondes rumeurs lorsque l'on rôde dans ses alentours, sans y entrer !
Et à cette exclamation une autre répliquait aussitôt : Eh bien ! mais alors il faut y entrer !
Il s'irritait à tourner ainsi sur lui-même, sans changer de place et il essayait de dévier cette conversation, comme s'il se fût entretenu avec une autre personne dont les questions l'embarrassaient ; mais il y revenait quand même et, agacé, réunissait toute sa raison, l'appelait à l'aide.
Voyons, il faut tâcher de se repérer pourtant ! Il est évident que depuis que je me suis approché de l'Eglise, mes persuasions d'ordures sont devenues plus fréquentes et plus tenaces ; un autre fait est certain encore, c'est que je suis suffisamment usé par vingt ans de noce pour n'avoir plus de besoins charnels. Je pourrais donc parfaitement, en somme, si je le voulais bien, demeurer chaste ; mais il faudrait ordonner à ma misérable cervelle de se taire et je n'en ai pas la force ! - C'est effrayant tout de même, dire que je suis plus attisé que dans ma jeunesse, car maintenant mes désirs voyagent et, las de l'abri coutumier, ils partent à la recherche du mauvais gîte ! Comment expliquer cela ? Ne s'agirait-il
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