En Route
cette merveille du plain-chant, le Credo. Elle l'enlevait, en quelque sorte, jusqu'au sommet du choeur et le faisait planer, les ailes grandes ouvertes, presque immobiles, au-dessus des ouailles prosternées, lorsque le verset et homo factus est prenait son lent et respectueux essor dans la voix baissée du chantre. C'était, à la fois, lapidaire et fluide, indestructible, ainsi que les articles du Symbole même, inspiré comme le texte que l'Esprit Saint dicta, dans leur dernière assemblée, aux apôtres réunis du Christ.
A Saint-Séverin, une voix de taureau clamait, seule, un verset, puis tous les enfants, soutenus par la réserve des chantres, lançaient les autres et les inaltérables vérités s'affirmaient à mesure, plus attentives, plus graves, plus accentuées, un peu plaintives même dans la voix isolée de l'homme, plus timides peut-être, mais aussi plus familières, plus joyeuses, dans l'élan pourtant contenu des gosses.
A ce moment-là, Durtal se sentait soulevé et il se criait : mais il est impossible que les alluvions de la foi qui ont créé cette certitude musicale soient fausses ! L'accent de ces aveux est tel qu'il est surhumain et si loin de la musique profane qui n'a jamais atteint l'imperméable grandeur de ce chant nu !
Toute la messe était d'ailleurs à Saint-Séverin exquise. Le Kyrie eleison sourd et somptueux ; le Gloria in excelsis divisé entre le grand et le petit orgue, l'un chantant seul et l'autre dirigeant et soutenant le choeur, exultait d'allégresse ; le Sanctus emballé, presque hagard alors que la maîtrise criait l'hosanna in excelsis, bondissait jusqu'aux cintres ; et l'Agnus Dei s'élevait à peine en une claire mélodie suppliante, si humble qu'elle n'osait monter.
En somme, à part des Salutaris de contrebande détaillés là, ainsi que toutes les églises, Saint-Séverin conservait, les dimanches ordinaires, la liturgie musicale, la chantait presque respectueusement avec des voix fragiles, mais bien teintées, d'enfants, avec des basses solidement bétonnées, remontant de leurs puits de vigoureux sons.
Et c'était une joie pour Durtal que de s'attarder dans cet adorable milieu du Moyen Age, dans cette ombre déserte, parmi ces chants qui s'élevaient derrière lui, sans qu'il fût troublé par les manigances des bouches qu'il ne pouvait voir.
Il finissait par être pris aux moelles, suffoqué par de nerveuses larmes et toutes les rancoeurs de sa vie lui remontaient ; plein de craintes indécises, de postulations confuses qui l'étouffaient sans trouver d'issues, il maudissait l'ignominie de son existence, se jurait d'étouffer ses émois charnels.
Puis, quand la messe était terminée, il errait dans l'église même, s'exaltait devant l'essor de cette nef que quatre siècles bâtirent et scellèrent de leurs armes, en y apposant ces extraordinaires empreintes, ces fabuleux cachets qui s'épanouissent en relief sous le berceau renversé des voûtes. Ces siècles s'étaient réunis pour apporter aux pieds du Christ l'effort surhumain de leur art et les dons de chacun étaient visibles encore. Le treizième siècle avait taillé ces piliers bas et trapus dont les chapiteaux se couronnent de nymphéas, de trèfles d'eau, de feuillages à grandes côtes, volutés en crochets et tournés en crosse. Le quatorzième siècle avait élevé les colonnes des travées voisines sur le flanc desquelles des prophètes, des moines, des saints, soutiennent de leurs corps étendus la retombée des arcs. Le quinzième et le seizième avaient créé l'abside, le sanctuaire, quelques-uns même des vitraux ouverts au sommet du choeur et, bien qu'ils eussent été réparés par de vrais gnafs, ils n'en avaient pas moins gardé une grâce barbare, une naïveté vraiment touchante.
Ils paraissaient avoir été dessinés par les ancêtres des imagiers d'Epinal et bariolés par eux de tons crus. Les donateurs et les saints qui défilaient dans ces clairs tableaux encadrés de pierre étaient tous maladroits et pensifs, vêtus de robes gomme-gutte, vert bouteille, bleu de prusse, rouge de groseille, violet d'aubergine et lie de vin qui se fonçaient encore au contact des chairs omises ou perdues, restées, en tout cas, comme leur épiderme de verre, incolores. Dans l'une de ces fenêtres, le Christ en croix semblait même limpide, tout en lumière, au milieu des taches azurées du ciel et des plaques rouges et vertes que formaient les ailes de deux anges dont le visage
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