En Route
vue de la haute mystique, Lydwine fut prodigieuse, car l'on peut vérifier sur elle la méthode de substitution qui fut et qui est encore la glorieuse raison d'être des cloîtres.
Et comme, sans répondre, Durtal l'avait interrogé du regard, il avait poursuivi :
- Vous n'ignorez pas, monsieur, que, de tout temps, des religieuses se sont offertes pour servir de victimes d'expiation au ciel. Les vies des saints et des saintes qui convoitèrent ces sacrifices et réparèrent par des souffrances ardemment réclamées et patiemment subies les péchés des autres, abondent. Mais, il est une tâche encore plus ardue et plus douloureuse que ces âmes admirables envient. Elle consiste, non plus à purger les fautes d'autrui, mais à les prévenir, à les empêcher d'être commises, en supplantant les personnes trop faibles pour en supporter le choc.
Lisez, à cette occasion, Sainte Térèse ; vous verrez qu'elle obtint de prendre à sa charge les tentations d'un prêtre qui ne pouvait les endurer, sans fléchir. Cette substitution d'une âme forte, débarrassant celle qui ne l'est point de ses périls et de ses craintes, est une des grandes règles de la Mystique.
Tantôt, cette suppléance est purement spirituelle et tantôt, au contraire, elle ne s'adresse qu'aux maladies du corps ; Sainte Térèse se subrogeait aux âmes en peine, la soeur Catherine Emmerich succédait, elle, aux impotentes, relayait, tout au moins, les plus malades ; c'est ainsi, par exemple, qu'elle put souffrir les tortures d'une femme atteinte de phtisie et d'une hydropique, pour leur permettre de se préparer à la mort en paix.
Eh bien ! Lydwine accaparait toutes les maladies du corps ; elle eut la concupiscence des douleurs physiques, la gloutonnerie des plaies ; elle fut, en quelque sorte, la moissonneuse des supplices et elle fut aussi le lamentable vase où chacun venait verser le trop plein de ses maux. Si vous voulez parler d'elle, autrement que les pauvres hagiographes de notre temps, étudiez d'abord cette loi de la substitution, cette merveille de la charité absolue, cette victoire surhumaine de la mystique ; elle sera la tige de votre livre et, naturellement, sans efforts, tous les actes de Lydwine se grefferont sur elle.
- Mais, avait questionné Durtal, cette loi subsiste encore ?
- Oui, je connais des couvents qui l'appliquent. Au reste, des ordres, tels que les carmélites et les clarisses acceptent très bien qu'on leur transfère les tentations dont on souffre ; alors ces monastères endossent, pour ainsi dire, les échéances diaboliques imposées à des âmes insolvables dont ils paient de la sorte intégralement les dettes.
- C'est égal, avait fait Durtal, en hochant la tête, pour consentir à attirer ainsi sur soi les attaques destinées au prochain, il faut être joliment certain de ne pas sombrer ?
- Les religieuses choisies par Notre-seigneur, comme victimes expiatoires, comme holocaustes, sont, en somme, assez rares, avait repris l'abbé ; elles sont, généralement, dans ce siècle surtout, obligées de se réunir, de se coaliser, afin de supporter sans faiblir le poids des méfaits qui les tentent, car, pour qu'une âme puisse subir, à elle seule, les assauts sataniques qui sont parfois atroces, il faut qu'elle soit vraiment assistée par les anges et élue par Dieu… et après un silence, le vieux prêtre avait ajouté :
- Je crois pouvoir parler avec une certaine expérience de ces questions, car je suis l'un des directeurs des religieuses réparatrices dans les couvents.
- Et quand on pense que le monde se demande à quoi servent les ordres contemplatifs ! s'était écrié Durtal.
- Ils sont les paratonnerres de la société, avait dit, avec une singulière énergie, l'abbé. Ils attirent sur eux le fluide démoniaque, ils résorbent les séductions des vices, ils préservent par leurs prières ceux qui vivent dans le péché comme nous ; ils apaisent enfin la colère du Très-haut et l'empêchent de mettre en interdit la terre. Ah ! Certes, les soeurs qui se vouent à la garde des malades et des infirmes sont admirables, mais combien leur tâche est aisée, en comparaison de celle qu'assument les ordres cloîtrés, les ordres où les pénitences ne s'interrompent jamais, où même les nuits alitées sanglotent !
Il est tout de même plus intéressant que ses confrères, ce prêtre-là, s'était dit Durtal, au moment où ils s'étaient quittés ; et comme l'abbé l'avait invité à
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