En Route
une religionnette de femme riche ; ils voudront s'immiscer dans ma vie, me presser sur l'âme, m' insinuer leurs goûts ; ils essaieront de me convaincre que l'art est un danger ; ils me prôneront des lectures imbéciles ; ils me verseront à pleins bols leur bouillon de veau pieux !
Et je me connais, au bout de deux entretiens avec eux, je me révolterai, je deviendrai impie !
Et Durtal hochait la tête, et demeurait pensif, puis il reprenait :
Il importe néanmoins d'être juste ; le clergé séculier ne peut être qu'un déchet, car les ordres contemplatifs et l'armée des missionnaires enlèvent, chaque année, la fleur du panier des âmes ; les mystiques, les prêtres affamés de douleurs, ivres de sacrifices, s'internent dans des cloîtres, ou s'exilent chez les sauvages qu'ils catéchisent. Ainsi écrémé, le reste du clergé n'est évidemment plus que le lait allongé, que la lavasse des séminaires…
Oui, mais enfin, continuait-il, la question n'est pas de savoir s'ils sont intelligents ou bornés ; je n'ai pas à dépecer le prêtre pour chercher à découvrir, sous l'écorce consacrée, le néant de l'homme ; je n'ai pas à médire de son insuffisance puisqu'elle s'ajuste en somme à la compréhension des foules. Ne serait-ce pas, d'ailleurs, plus courageux et plus humble de s'agenouiller devant un être dont la misère de cervelle vous serait connue ?
Et puis… et puis… je n'en suis pas réduit là ; car enfin, j'en sais un, à Paris, qui est un vrai mystique. Si j'allais le voir.
Et il repensait à un abbé Gévresin avec lequel il avait jadis entretenu des relations ; il l'avait rencontré, plusieurs fois, chez un libraire de la rue Servandoni, le père Tocane, qui possédait d'introuvables livres sur la liturgie et les vies de Saints.
Apprenant que Durtal cherchait des ouvrages sur la bienheureuse Lydwine, ce prêtre s'était aussitôt intéressé à lui et ils avaient, en sortant, longuement causé. Cet abbé était très vieux et marchait avec peine ; aussi s'était-il volontiers appuyé sur le bras de Durtal qui l'avait accompagné jusqu'à sa porte.
- C'est un sujet magnifique que l'existence de cette victime des péchés de son temps, disait-il ; vous vous la rappelez, n'est-ce pas ? Et il en avait, à grands traits, retracé, tout en cheminant, les lignes.
Lydwine était née vers la fin du quatorzième siècle, à Schiedam, en Hollande. Sa beauté était extraordinaire, mais elle tomba malade vers quinze ans et devint laide. Elle entre en convalescence, se rétablit et un jour qu'elle patine avec des camarades sur les canaux glacés de la ville, elle fait une chute et se brise une côte. A partir de cet accident, elle demeure étendue sur un grabat jusqu'à sa mort ; les maux les plus effrayants se ruent sur elle, la gangrène court dans ses plaies et de ses chairs 4 en putréfaction naissent des vers. La terrible maladie du Moyen Age, le feu sacré, la consume. Son bras droit est rongé ; il ne reste qu'un seul nerf qui empêche ce bras de se séparer du corps ; son front se fend du haut en bas, un de ses yeux s'éteint et l'autre devient si faible qu'il ne peut supporter aucune lueur.
Sur ces entrefaites, la peste ravage la Hollande, décime la cité qu'elle habite ; elle est la première atteinte ; deux pustules se forment, l'une, sous un bras, l'autre, dans la région du coeur. Deux pustules, c'est bien, dit-elle au Seigneur, mais trois seraient mieux, en l'honneur de la Trinité Sainte ; et aussitôt un troisième bouton lui crève la face.
Pendant trente-cinq années, elle vécut dans une cave, ne prenant aucun aliment solide, priant et pleurant ; si transie, l'hiver, que, le matin, ses larmes formaient deux ruisseaux gelés le long de ses joues.
Elle s'estimait encore trop heureuse, suppliait le Seigneur de ne point l'épargner ; elle obtenait de lui d'expier par ses douleurs les péchés des autres ; et le Christ l'écoutait, venait la voir avec ses anges, la communiait de sa main, la ravissait en de célestes extases, faisait s'exhaler, de la pourriture de ses plaies, de savants parfums.
Au moment de mourir, il l'assiste et rétablit dans son intégrité son pauvre corps. Sa beauté, depuis si longtemps disparue, resplendit ; la ville s'émeut, les infirmes arrivent en foule et tous ceux qui l'approchent guérissent.
Elle est la véritable patronne des malades, avait conclu l'abbé ; et, après un silence, il avait repris :
- Au point de
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